NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE Xl. LE CUL-DE-SAC.

  • NANTES LA BRUME, Ludovic Garnica de la Cruz, 1905
  • chapitre 1 : le brouillard 2 : la ville 3 : la batonnier et l’armateur 4 : le peintre 5 : le clan des maîtres 6 : rue Prémion 7 : labyrinthe urbainchapitre 7, suite8 : les écailles 9 : emprises mesquines 10 : carnaval

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    A l’Elysée-Graslin, alias au beuglant. Les vitres qui séparaient la grande salle de l’entrée demi-cour garnie d’arbustes étaient fourrées de buées grises. L’éclairage réfléchi par le poli des tables de marbre sur les murailles peintes faisait saillir les dessins ineptes et crus. Et les chaises noires, et les canapés de cuir d’alentour étaient occupés par de nombreux curieux : jeunes gens à tournure d’étudiants, tapant du poing, hurlant à pleins poumons près de galants minois artificiels, potaches imberbes, insérés entre deux vieilles apprentisseuses, barbes vénérables, sirotant leur absinthe en s’égayant le tympan de luxures inabordables, sous-officiers tapageurs, belliqueux du mérite d’avoir un sabre et d’être un militaire pour ces dames. Oh ! les dames, un ramassis de tous les bouquets fanés, usés. Des cheveux rouges étincelants au bord de maquillages savants. Des yeux sillonnés de noir, des pattes d’oie mal déguisées, des rires menteurs qui se paient comptant. Leur pénible travail commence sous l’oeil paternel du bon agent de planton près de la caisse du patron de céans. La force publique veillant sur les préparatifs des heures de basse orgie au nom de la morale.
    Un chut prolongé coupa les conversations. Une femme corpulente, décolletée jusqu’au ventre et de rouge court-vêtue, nasillait une romance de Botrel. On entendait à peine le filet de voix de ce gros corps faisant des grâces :

      Et lon lon laine
      Et, lon lon la

    Puis elle disparut. Une gringalette prit sa place. Quel diable mouvementé ! Elle gesticulait des pieds, des mains, du croupion, de la gorge, piaillait à cris perçants, montrait son pantalon de dentelle rose. Elle regardait surtout les vieux d’un air narquois,. en reprenant le refrain :

      C’est un objet qui s’allonge
      Et se tire, tire…

    Et d’autres suivirent à tour de rôle. Des grandes, des moyennes, des vertes, des jaunes. Chacune y alla de sa petite ordure et s’éclipsa dans une tempête de trépignements. Une brune jura, insulta les assistants. Des duettistes chantaient faux, en camarades avec le piano ; plus osés se tâtaient partout devant le public s’excitant. 0n riait ; ils eurent du succès. Enfin le principal comique fit son entrée sur la scène, en même temps qu’un petit crevé, les épaules rondes, face comique et réjouie, coiffé d’un tube mat enveloppé d’une fourrure, faisait la sienne dans la salle.

  • Tiens, hurla le nouvel arrivant, c’est encore ce vieux cochon de cochon de soulaud qui va nous em… de ses saletés. Fous-le-camp, gros ventru, ou je te colle un verre dans la gueule.
  • Un murmure accueillit cette réflexion. Tranquillement l’autre enleva sa peau et commanda un bock.

  • Allons, vas-y tout de même, vieille canaille, qu’on entende ta voix !
  • Le garçon le prévint qu’on le flanquerait dehors S’il ne se modérait pas. Habitué à ces sortes d’avertissements, le type dégradé de la vadrouille infinissable, de la noce à toutes les vilenies, alluma sa pipe et répondit :

  • Jules, amène-moi une femme, n’importe laquelle, je paie un louis.
  • Pendant ce temps-là, le comique avait entamé ses chansonnettes émaillées de gros sel, d’égrillardes plaisanteries. Quand il vit la salle trépigner de bonne humeur, il reprit l’idiote rosserie, l’idéal de ce genre de foule avachie ? la fille du Remouleur. Les choeurs reprenaient le refrain d’un commun accord :

      Ah !qu’elle est gentille
      Ma fille…

    Une voix complaisante lançait les mots sous-entendus, les mots. ignobles que la rime appelait.

    Au fond, Charles et René humaient délicatement leurs chartreuses. Tandis que le peintre semblait se distraire, René restait triste et pensif.

  • Qu’as-tu donc, René, ça ne t’amuse pas d’entendre ces soi-disants hommes étaler, leur vaine matérialité ?
  • Charles, je m’ennuie. II me faut une femme.
  • Choisis, mon cher. Tiens, les deux en noir qui sont seules près le pilier de gauche.
  • Pas mal, en effet. Garçon ! Dites à ces dames de venir.
  • Sans se faire prier, elles s’attablèrent avec les jeunes gens. Ils causèrent. Banalités des conversations, de cette façon, salade de grossièretés assaisonnée de disances et de calomnies sur les camarades.
    Vers mihuit, ils sortirent ensemble. Dans l’étroite rue Corneille, à la lueur du gros oeil électrique du café ? ils se consultèrent.

  • Vous venez chez nous ? demandèrent les femme.
  • Ils acceptèrent. Chacun partit de son côté.

  • Où demeurez-vous ? demanda René à celle qui lui était échue.
  • Rue Lekain, à deux pas.
  • René la suivit en silence. C’était une chambre assez grande. Un lit de milieu garni de rideaux bleus, une armoire à glace, un large canapé. Elle alluma une haute lampe à pied, retira son manteau et se campa devant le jeune homme impassible. Elle dit :

  • Donne-moi des sous ?
  • René eut dégoût de cette demande, il répondit:

  • Combien veux-tu ?
  • Ce que tu voudras !
  • Dix francs.
  • Donne-moi un louis, je t’amuserai de jolis secrets que tu ne connais pas ?
  • Il lui donna les vingt francs. Elle sourit et les serra dans un noeud de son mouchoir où se cachaient déjà quelques autres.

  • Si j’étais riche, je ne te demanderai rien ! Tu es trop gentil.
  • Ils se couchèrent. René se regardait comme étonné d’être là, dans cette chambre froide sillonnée fantastiquement des lueurs, des pénombres et des ombres de la lampe à abat-jour rose grimpée sur la table de nuit. Il pensait à Lolette, à son petit intérieur à présent triste, ce qui lui donnait une grise mine d’amoureux.

  • A quoi penses-tu ? reprit la femme.
  • Pas à toi, bien sûr, répliqua René.
  • Dans le silence, il murmura : « J’ai honte ».

  • Hein, quoi ? Est-ce que tu es venu pour m’insulter ?
  • Ne te fâche pas, reprit René, en s’étalant sur le dos. J’ai grand besoin de ton talent promis pour m’échauffer.
  • La femme boudait. Il se rapprocha d’elle et la prit ses bras.

  • Tu as de jolis yeux ; on dirait deux agathes foncées.
  • René, avec sa douceur de tempérament, se faisait tendre, caressant. Il l’accabla de menues gentillesses comme à une amie que l’on revoie. Et l’autre se laissait câliner. Une joie franche l’enveloppait. A son tour elle frôla le jeune homme de ses doigts habiles. René donna son corps au plaisir, son corps car l’âme était loin, bien loin de cette bouche empuantant des relans d’alcool qui l’écoeurait. Ils s’aimèrent, selon l’expression imbécile qui désigne les accouplements matériels. Ils se trémoussèrent des positions grotesques malmenant leurs corps pour les faire vibrer de plaisir, comme un violoneux grinçant des airs sur un instrument monocorde.

    Non ! René n’était pas content de sa vie actuelle ! Il maudissait son oncle et ses opinions draconiennes. Son âme saignait des plaisirs qu’il cherchait. Il était devenu incapable de lire en paix un poème préféré. Son esprit en quête d’images luxurieuses le troublait aux dépens de sa santé. Il devenait méchant, solitaire, acariâtre. A la nuit, il se rendait invariablement à la Cigale. Au fond du café, il trouvait des grues patientes attendant sur les cuirs rouges les michets fortunés, parées comme les mariées d’un bal fantaisiste, d’un sabbat dont elles mèneraient la danse maudite. Il puisait dans le tas. Elles y passaient les unes après les antres, Se joignant à certains groupes, il courait de brasseries en brasseries, pataugeant dans l’immondice charnel de fossé en fossé.
    Comme il évitait de s’enivrer avec ces femmes, il se regardait crouler, la honte au coeur, dans un engrenage graisseux de stupre immonde. Il ne se sentait pas la force de fuir, et parfois il pleurait. Il apprenait une histoire secondaire de la ville, une histoire cachée, remplie de misères, de maladies, de souillures, de crimes, d’éclaboussures de morts, et le mensonge des jours étalant son infecte vérité en la nuit muette et complice.
    Un soir, il entraîna Charles. Le peintre s’efforçait, doucement de distraire son ami, de l’écarter du chemin antiesthéthique qu’il suivait.

  • René, tu railles les bourgeois, tu es plus coupable qu’eux en les imitant.
  • Mon oncle sera content. Je lui ai écrit ma vie, vie de crétin inepte.
  • Et Charles l’accompagnait pour lui plaire, un peu aussi pour veiller sur lui, pont le défendre même, René dans sa haine contre les grues, les insultait publiquement avec rage. Des disputes eurent lieu entre leurs défenseurs et le poète. Un soir, à la brasserie Moderne, il y eut bataille ; René esquinta de sa cravache son adversaire. Ce fut une grosse affaire. L’autre porta plainte. Mr de Lorcin fut obligé d’intervenir pour arrêter les poursuites. Un autre soir, il s’oublia au point de frapper en pleine rue, une rouleuse ivre qui le narguait, On l’emmena au poste. Il fut violent. Il passa la nuit sur la planche.
    Il entraîna donc le peintre vers une maison bariolée de vert. La patronne du lieu les fit, entrer dans petit salon entouré de banquettes capitonitées où des femmes en chemisettes transparentes étaient assises, exhibant leurs croupes pollutionnelles. Ils les prirent sur leurs genoux: Ils tâtaient comme bons fermiers en foire la bête la plus solide et la mieux faite. Quand ils eurent fini leur choix, il s’attabIèrent à quelque coutumière orgie.
    Par la porte entr’ouverte, ils entendirent des rires, des chansons, des voix d’hommes mêlées à celles de femmes ! René grommela.

  • Ils sont bien gais, ceux-là !
  • Allons, reprit Charles, qu’est-ce que cela peut te faire ?
  • Je connais ces voix Je veux voir.
  • René, je t’en prie, tu vas t’attirer des ennuis.
  • Têtu, René s’en alla frapper deux coups de poing à la porte voisine. Le silence se fit dans l’autre salon.

  • Ouvrez-donc ! vous n’êtes pas morts de peur, que diable ! On ne vous mangera pas
  • Une voix de femme demanda :

  • Qui est là ?
  • Le voisin parbleu qui vient faire votre connaissance. Ouvrez ou j’enfonce la porte.
  • Charles arriva juste au moment où la porte s’ouvrait. Il entra derrière son ami. Celui-ci se confondait en saluts.

  • Bonsoir M. Seniland, bonsoir M. Béthenie. Vous croyiez peut-être que vos dames venaient vous chercher ? Une belle affaire d’adultère, n’est-ce pas M.le Juge ?
  • Les deux interpellés restaient penauds, ayant une petite femme sur chaque genou, celles-ci riaient de leurs têtes.

  • Mazette, reprit René, vous n’y allez pas de main morte. Cinq pour deux. Nous sommes des dégénérés, nous, n’est-ce pas Charles ? Nous n’avons plus de moëlle. Voilà une petite aventure que vous ne raconterez pas à ce cher M. de Lorcin, mon vénérable oncle !
  • Remis de leur surprise, ils se levèrent furieux.

  • Monsieur, ces manières sont…
  • Ne nous fâchons pas, chers amis, continuons la fête ensemble.
  • Ils grondèrent des sons inarticulés et partirent fort ennuyés sous les regards moqueurs des filles. René offrit du champagne.

  • Et ce sont ces gens les plus rigides cerbères la vertu, ces gens à qui l’on confie le juste et l’injuste, en qui l’on met son entière confiance, nos pires ennemis à nous tous.
  • Une femme conclut.

  • Ce sont des habitués.
  • Le col relevé par dessus les oreilles, les mains dans le linceul des poches, René descendait la rue Crébillon. Un froid venteux battait la nuit silencieuse. Il ne songeait qu’à regagner son gîte, s’y terrer frileusement. Quelques rares voyous tremblotaient en guenilles sur les trottoirs. Une petite fillette de huit à neuf ans collée aux vitres du Terminus mendiait les passants.
    Le long de la Société Générale une femme l’accosta.

  • Monsieur, venez chez moi.
  • Non. Non.
  • Monsieur, j’ai été à Paris.
  • René trouva la phrase bizarre.

  • Que faire à Paris ?
  • Apprendre à travailler !
  • Ah !
  • Il la regarda. Ni belle, ni vilaine, ni bien, ni mal vêtue, bref, une raccrocheuse quelconque. Alors il se mit à rire.

  • A Paris on travaille donc mieux qu’ailleurs ?
  • Acceptez. ! Vous ne vous en repentirez pas.
  • Soit. Je vous suis.
  • La femme, heureuse de l’aubaine, pressa le pas. Son logis pauvre et nu manquait de propreté. Bas, savates éculées, morceaux de bois etc… traînaient par la place. L’air était glacial.

  • Fais du feu, dit René.
  • Il jeta un louis sur la table.
    Assis auprès de la cheminée, le jeune homme appuyait son front sur le plâtre. La chaleur l’engourdissait. La flamme sautillante cuisait, ses yeux. Son cerveau se pelotonnait chattement indifférent.
    La femme jeta de nouveau du bois dans l’âtre et resta accroupie sans rien dire. Elle avait revêtu un long peignoir blanc. Elle agitait ses mains maigres dans les lueurs fauves.
    L’engourdissement du froid passé, René s’étira, faisant craquer ses jointures. Et brutalement, nerveux, il prit la femme sous les aisselles l’attira entre ses genoux. Il sentit la chair chaude à travers le peignoir. Cette nudité le grisa. Il passa ses mains sur les seins tombants, arracha le peignoir

  • Fais-moi voir ce que tu as appris à Paris, lui souflla-t-il à l’oreille.
  • Docile, elle se mit à l’oeuvre.
    L’oeuvre, René ne croyait pas que l’on connût mieux les moyens de salir le vice à Paris qu’à Nantes. Cette femme n’avait probablement jamais quitté les rives de la Loire. Elle usait d’un stratagème à succès parmi les provinciaux admirateurs de toutes les saletés portant le cachet de la capitale. Mais il fut épouvanté de l’ignoble dégradation lubrique de cette goule. Il éprouva un tel dégoût de son contact qu’à une minute plus abjecte il la repoussa violemment, et lui cracha au visage. Elle tomba sur le sol avec un juron terrible.

    Ne voyant plus son ami. Charles se rendit chez lui. René atteint d’une mélancolie névrosée ne bougeait plus de son fauteuil. Des journées entières, il rêvait ou sommeillait, mangeant à peine ce que lui préparait Mine Demeux. La bonne femme cherchait en vain à le distraire de ses racontars faits-divers.

  • Je m’ennuie, lui disait René, je m’ennuie terriblement.
  • A Charles, il tint le même langage.

  • Je m’ennuie, répétait-il, d’une voix désespérée.
  • Travaille.
  • Je n’en ai pas la force. Ce sont maintenant pour moi de maudites souffrances. Des souffrances qui font le vide. Pas de chagrin véritable, pas de regrets. Je souffre de me sembler un exilé dans le néant. J’ai honte de me regarder nu dans ma glace. Je ne suis pourtant pas fou, j’ai honte de ma chair, de chacun de mes membres que ces femmes veni¬meuses ont touchés. Je crois sentir mon âme ombrer la glace d’une tristesse mortelle. Aimer, me soulagerait ! Qu’ai-je à offrir à une amante adorée ? Un coeur fané dans une loque souillée… Leur emprise à ces femmes s’étend sur mes pensers. Si je me clos entre mes murs, c’est pour ne pas les revoir, retourner à l’appel mielleux de leurs lèvres peintes. Oh ! finir cette vie fausse de lubricités imbéciles et de flasques plaisirs !
  • René eut une forte fièvre. Il garda le lit plusieurs jours. Charles fut le médecin expérimenté de sa guérison, de sa convalescence. De douces journées passées ensemble, de franches causeries d’art, les visites amicales des membres de leur cénacle artistique lui retracèrent la voie de la santé. Mussaud, toujours fougueux, voyait le triomphe définitif de l’amplitude de la chair saine et vigoureuse. Sa « Femme d’amour » était presque terminée. Dans une quinzaine de jours l’exposition aurait lieu rue Prémion. Ils en parlaient tous avec orgueil. Ils étaient prêts. Un dernier coup de main et l’on commencerait les préparatifs à l’atelier.
    Avec des ruses d’apaches sur le sentier de la guerre, ils cherchaient à savoir quel serait le tableau de Delange. Mais celui-ci souriait.

  • Attendez, attendez. Vous verrez.
  • René lui-même l’ignorait. Le tableau était renfermé sous clef dans la chambre du peintre et la clef ne quittait jamais la poche de son veston.
    C’étaient des jeunes, des très jeunes, pleins d’audace, de verve et d’aptitude sérieuse au talent. Par aux-mêmes ils voulaient arriver à percer la foule ambiante des médiocrités. A coup d’épaule se frayer à peu un chemin dans le hallier de l’envie. De Remirmont préparait un éclatant manifeste dont Charmel et Ormanne seraient les décorateurs.
    La vie d’antan avait repris sa place au foyer de l’existence où se réchauffait leur camaraderie. René écrivait ses poèmes avec enthousiasme et chantait ses ballades sur le vieux piano du café de Nantes.

  • Le joli minois, murmura-t-il.
  • Machinalement il le suivit. Elle avait un déhanchement particulier des reins, accentué par le poids d’un paquet noir au bras gauche. Sa croupe se balançait délicieuse au trottinement de ses bottines minces.
    René la détaillait des yeux. Un manteau court, foncé, empêchait de distinguer sa taille, mais ses cheveux blonds en nattes énormes dépassaient le collier de fourrures où ses oreilles se baignaient frileusement et retombaient sur ses épaules étroites. Un chapeau breton garni d’un ruban blanc terminait le charme qu’elle dégageait.
    Il la suivait tranquillement sans trop savoir pour¬quoi. Et le vent qui soufflait fort amena la neige dans ses dents. Les pilules blanches s’entrechoquaient par brassées, s’avalanchaient si brusques, si épaisses qu’en un instant les pavés et le trottoir se couvrirent d’un suaire Même. Des parapluies rares s’étirèrent. Les gens surpris fuyaient.
    René presssa le pas. Comme il marchait plus vite que le joli minois, il se rencontra bientôt à coté de lui. Elle le regarda un peu étonnée. Il eut alors une résolution subite.

  • Mademoiselle; voulez-vous accepter l’abri de mon bras ?
  • Un appui plutôt qu’un abri, souria-t elle.
  • Les deux… si vous voulez.
  • Une rafale violente de neige les aveugla branlant les portes et les devantures. Ils se rapprochèrent. Elle se cramponna à son pardessus. Quand l’accalmie revint, il se trouva qu’elle se serrait contre lui et qu’ils marchaient côte-à côte.

  • Vous rentrez chez vous, mademoiselle ?
  • Non, monsieur, je suis en course.
  • Vous avez aussi oublié de vous précautionner contre la neige … Blottissez-vous le long de ma peau de chèvre, les poils vous garantiront à moitié.
  • La neige était certes glacée. Sur le visage elle glissait des filets d’eau trop fraîche. Ni l’un, ni l’autre n’avait cependant froid. La grosse main de René couverte de gants épais entourait la taille de la fille qui disparaissait presque sous son aisselle dans la forêt des poils bruns. Ils bavardaient pour dire quelques paroles. En un clin d’œil une paire d’amis s’entendant comme une paire de gants. Si bien qu’au moment précis du « où allez-vous » question et du « chez moi » réponse, il compléta laccord parfait « ensemble au restaurant ».
    Il dînèrent joyeusement dans un petit salon moelleusement chauffé. Et ce fut tout naturel qu’étant deux gentils mariés du hasard, ils allassent fêter leur nuit de noces dans un grand lit roux de hasard.
    Parmi les caresses de la petite, René recueillait les bribes d’amour qu’il avait perdues avec le départ de Lolette. La tendresse de son coeur aimant maltraité par les marchandes de voluptés lui monta en bouffées aux lèvres. Il aima de toute son âme, follement, franchement, comme elle se donna à lui follement et franchement. A ce corps exquis et frais, il goûta un raffinement de jouissances supérieures telles qu’il n’en avait connues depuis longtemps. Et ce fut une paix qui le berça dans ses heureux délires.
    Il baisa ses lèvres roses et ses yeux doux ; il croqua doucement la pointe de ses seins durs ; il frôla curieux la croupe ferme qui se balançait si délicieu¬sement dans la rue ; il voulut même voir le duvet mystérieux qu’il frisottait de ses doigts malins. Elle rougit et refusa, tenant sa main crispée sur sa chemise qu’elle maintint raide entre ses jambes. Alors il n’insista plus devant cette naïve pudeur. Au contraire, il aima davantage cette chair veloutée qu’il savoura les yeux fermés.
    Fatiguée, la mignonne s’endormit sur l’oreiller touffu de ses cheveux. René, devenu seul, songea malgré lui à celles qu’il avait fréquentées auparavant. Sans scrupules, sans hontes, elles exhibaient à tout venant leur nudité, excitant à l’appat la brute humaine. Il les compara à l’autre qui dormait près de lui. Ses caresses d’amour avaient conservé de candides naïvetés. Charmeuse créature, encore vierge d’âme — sinon de corps – faite pour le plaisir délicat, pour la chanson des sens. Je suis la chair qui aime.
    Au matin, elle disparut après une dernière caresse, chère inconnue qui n’avait laissé d’elle qu’un parfum de passion dans l’air attiédi. Partie sans laisser son nom, sans détourner la tête, vers d’autres coeurs à contenter, d’autres chairs à satisfaire. Toujours avec la même bonne humeur, la même joie, toujours l’ange qui va — où le vent le pousse — aux foyers froids que ses lèvres vont réchauffer. Grands enfants, voici la consolante volupté ! Accueillez-la respectueusement comme un hôte céleste. Elle est la distributrice des bonheurs humains, des heures d’oubli de peines, des réconforts de la défaite et des déceptions ! Paralytiques qui souffrez, approchez vous de cette piscine guérissante. Elle passe rapide comme la lueur phare tournant. Elle passe sur la vie, insconsciente peut-être de son rôle bienfaisant. Le jour, elle est courbée sur quelque ingrat travail qui la fait vivre le soir, elle donne au pauvre qui l’implore le sourire clair de ses yeux, le pollen rouge de ses lèvres, le manteau blond de ses caresses. Le brutal collectif ne comprendra rien à sa mission, il la salira de ses bavures, il la souffletera de ses mépris de maître à tournure de valet. Elle rougira parfois sous l’outrage, et des pleurs humideront ses cils délicats, attendant qu’un jour, elle aille mourir à l’hôpital d’une maladie terrible communiquée par un infâme scélérat, en récompense de ses baisers confiants et désintéressés.

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  • Le long des, marches du théâtre Graslin les camelots s’égosillaient. Ils couraient jusqu’au milieu la rue Crébillon. Ils harcelaient les promeneursde leur insupportable charivari. Entre les larges colonnes du péristyle, des hommes, des femmes, des enfants, vêtus de couleurs différentes s’engouffraient par les portes basses à tambour, ainsi que des abeilles rentrant se perdre sous le dôme de la ruche, Au reflet des lampes électriques rougeoyait l’affiche du spectacle : Louise, douzième représentation.
    En face, la place Graslin, ceinturée de cafés fulgurants s’agitait dans des moissons de clartés blêmes dont le respir éclaircissait la craie noire de la nuit. Sur le trottoir du café de la Cigale des grues à ramages froufoutaient, pavanaient des devantures excentriques, attrayantes de leurs yeux prometteurs à la foule presque uniquement composée d’hommes. D’aucunes se plongeaient, dans les rangs des promeneurs. Hardies commerçantes, elles en sortaient bientôt avec un mâle — ô combien ! — assailli et vaincu.
    René flegmatique, regardait le manège curieux de ces femmes, la foule bariolée de leurs chapeaux chamarrés de clinquants. Le cide se faisait au pied du théatre. Quelques sires infects discutaient alentours un braser ensanglantant de lumière leurs pantalons en loques. Parfois, silencieux, ils admiraient l’audace des cocottes, « leurs chouettes soeurs ».
    Un froid cinglait. Les pieds gelés, René se dirigea vers le cours de la République, frôlant les cafés remplis de joueurs de cartes, – les coeurs saignaient, les piques samblaient ricaner d’infinissables railleries. Devant le cabaret des arts, René songea à cette ridicule pléïade de province intitulant ainsi ses vagues auberges, pour s’y croire l’hôte vaniteux des arts, parce qu’elle désaltère Cabots, Silènes et Spartacus. Il bifurqua vers la rue de l’Héronnière. Brusquement le silence ; éclariage peu ou nil. Personne. Il tourne à droite. Le quartier du vice. Rue d’Ancin, étroite, formée d’escaliers. Les lanternes des maisons peinturlurées de jaune, de brun, de vert, l’habillaient comme une mariée. Une file d’enseignes : Au moulin rouge – un vieux moulin dressant lamentablement ses ailes ; le corps teinté de route, semblait un quartier de boeuf sanguinolent ; – à l’Ancre d’or, à la Patte de Chat, au Vert galant. Aux portes, aux fenêtres, les femmes larges, débraillées, fardées, les lèvres trop rouges, l’appelèrent.

  • Viens, mon chéri, viens donc nous voir.
  • Elles l’entouraient, le touchaient, lui prenaient le bras, le tiraient par son manteau. La plupart, des paquets de chairs gonflées, débordantes, d’autres maigres, phtisiques, les dents jaunes ; des vois brûlées d’alcool, sentant mauvais. Il se débattit, les repoussa. Elles n’insistèrent plus, jurèrent, l’insultèrent de canailleries obscènes. Une seule le poursuivit jusqu’au quai de la Fosse.

  • Je suis jeune, regarde, j’ai des voluptés fraîches, mon beau monsieur.
  • Il la fixa le front dur. Elle était joliette : ses yeux bleus avaient une sorte de mélancolie malheureuse si douce qu’il eut pitié. La curiosité le prit de causer avec elle. Il revint. Les autres s’étaient mises à leurs portes, ricanaient. Alors la victorieuse les traita de nms ignobles, d’un vocabulaire ordurier. Et René eut une nausée de se trouver parmi cette turpitude. Il s’enfuit à toutes jambes sans détourner la tête.
    Sur la Fosse, il respira plus à l’aise. Puis il se mit à rire de sa peur. Les buvettes étaient bruyantes ; les chansons giclaient dans la boue éternelle de la chaussée. Des ivrognes titubaient et s’affalaient le long des trottoirs. Il marcha devant lui. Les becs de gaz toussotaient des hoquets safrans. AU fond d’une rue, de grosses lanternes éclairaient les titres : Maison Girondine, A l’Espérance. Les portes étaient closes. Des ombres frappaient, sournoisement la porte s’entr’ouvrait et se refermait sur eux. René continua. Rue des Marins. A un coude de grosses lettres se détachaient : A la Tête noire. Un gigantesque tableau accroché au dessus de l’entrée servait d’enseigne parlante. C’était une négresse nue jusqu’à mi-corps, pendant des tétons énormes. René grimpa les marches de la rue. Une bande de matelots hurlants le dépassa. Ils cognèrent, puis s’enfournèrent dans la maison. L’aspect était lugubre. Une odeur de vice et de mort prenait à la gorge comme du soufre. Ce lui fut aussi la sensation d’âtre entre ces murs rapprochés, dans quelque cachot affreux, quelque effroyable coupe-gorge. Des mines patibulaires le couvaient de regards hostiles.
    Les femmes chuchotaient avec eux. René eut une frayeur atroce. Des frissons lui moitèrent la peau. Ses jambes tremblèrent. Il lui sembla que le ruisseau coulait des pourritures et du sang caillé. Il s’appuya au mur. Un homme vint vers lui. Une nouvelle bande de soldats fit irruption dans la ruelle. Ivres, ils insultèrent l’homme. Il y eut bataille, coups. René profita de la bagarre pour monter la rue, tremblant sous les appels des hôtes de A mon désir, Au grand I...! croyant sentir le froid d’un couteau entre les épaules. Il quitta ce quartier maudit de stupre abominablement autorisé.
    Les exploiteurs de la débauche ont planté leurs tentes au même endroit. L’air y est lourd des puanteurs de syphilis, de maladies exotiques apportées par les marins privés de femmes pendans les longues traversées et venant apaiser leur fringale dans d’immondes naufrages en ces puits de tares morales et physiques, de dégénérescence contagieuse.
    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1688 : toute l’année, mais lacunes en octobre

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le premier janvier 1688 mourut monsieur Lefevre, chanoine de St Maurice, âgé de 72 ans.
  • Le 8, mourut Mr Pasqueraye, greffier en l’élection.
  • Le même jour (8 janvier 1688) mourut Mr Raboisseau, prêtre.
  • Le 12 (janvier 1688) monsieur Constantin grand prévôt d’Anjou épousa mademoiselle des Emereaux, fille de feu Mr Le Clerc des Emereaux et de la dame Charlot.
  • Le 13 (janvier 1688) le fils de Mr de la Porte Trochon, cy-devant grenetier en cette ville, et de la demoiselle … épousa la fille de Mr Mabit bourgeois et de la demoiselle Saget.
  • Le 18 (janvier 1688) le sieur Duperché apothicaire épousa la fille du sieur Chaudet Me apothicaire.
  • Le 4 février (1688) Mr du Temple Erreau, fils de défunts Mr Erreau, docteur régent ès loix, et de la dame Verdier, se fit recevoir dans la charge de procureur du Roy au siège de la Prévôté de cette ville, cy-devant remplie par Mr Avril, à présent major du château de cette ville.
  • Le 6 (février 1688) mourut la femme de Mr de la Gaulerie Brondeau, bourgeois de cette ville.
  • Le 8 (février 1688) mourut Mr Ferrand, docteur en médecine. Il était très habile homme. Il n’a pas profité de sa bonne fortune pour aimer trop son plaisir. (Note de Marc Saché : « Guillaume Ferrand, né à Angers le 3 janvier 1610, était fils de noble homme Guillaume F., docteur régent en médecine. Il prit son grade de docteur en la Faculté de Médecine en 1639 et épousé, le 3 juillet 1642, en la paroisse Saint-Martin, Renée Chotard. Il mourut le 8 février 1688, à l’âge de 79 ans et fut inhumé dans la chapelle Saint-Nicolas de Sainte-Croix, le surlendemain. Voir état-civil de Sainte-Croix et C. Port, Dictionnaire, t2, p.144)
  • lacunes … la fille du Sr Bridier qu’il a laissé avec 3 enfants.

  • Le 10 (mai 1688) le sieur Préjan marchand, fils du Sr Préjan aussy marchand et de la dame du Tertre, épousa la fille du Sr Yvard notaire cy-devant praticien au présidial et de la défunte dame Faucheux.
  • Le 11 (mai 1688) mourut la femme du feu sieur de la Hussaudaye Robert, bourgeois de cette ville ; elle s’appelait Boceau de la Bunoche.
  • Le 13 (mai 1688) mourut monsieur Guy Artaud prêtre, cy-devant archidiacre et chanoine en l’église de cette ville. Il avait été quelque temps conseiller au siège présidial. Il fut enterré le lendemain dans l’église de St Maurice.
  • Le 15 (mai 1688) mourut la femme de feu Mr Trochon marchand de draps de laine en cette ville ; elle a laissé plusieurs enfants ; son fils aîné aussy marchand avait épousé la défunte fille du feu Sr Angoulant, et de la défunte Guitton, ma tante ; Il s’est remarié avec la fille du feu Sr Hubert ; une autre fille a épousé le Sr Jouanneaux, cy-devant marchand de soie en cette ville ; elle s’appelait Blanche.
  • Le 17 (mai 1688) monsieur de la Roche Goizeau se fit installer dans la charge de juge des traites, cy-devant remplie par feu Mr de Pontlevoy Froger.
  • Le 26 (mai 1688) mourut la femme de Mr Lefort, avocat ; elle s’appelait mademoiselle Berthelot.
  • Le 29 (mai 1688) monsieur Cesbron avocat se fit installer dans la charge de conseiller au siège présidial de cette ville, cy-devant remplie par feu monsieur de Teildras Cupif.
  • Le 3 juin (1688) mourut le sieur Berger marchand cirier en cette ville, âgé de 45 ans, époux de Delle Paytrineau.
  • Le 12 (juin 1688) Mrs Delorme fils de Mr Guy Delorme avocat et Joseph Doublard, fils du Sr Doublard, cy-devant marchand droguiste en cette ville, plaidèrent leur première cause.
  • Le 14 (juin 1688) Mr Bouchard avocat épousa la fille du sieur Crosnier notaire et de la défunte dame Boumier.
  • Le 22 (juin 1688) le fils de Mr Hameau Sr du Marais et de la demoiselle Grémont, épousa dans la ville de Château-Gontier la fille de feu Mr d’Héliand Sr de la Gravelle président au présidial de Château-Gontier et de la dame Cazet.
  • Le 28 (juin 1688) mourut monsieur Pichard, avocat au siège présidial de cette ville. Il fut enterré le lendemain dans l’église de St Michel du Tertre.
  • Le 5 juillet (1688) Mr Camus receveur du grenier à sel de Saumur épousa la fille de Mr Chauveau Me apothicaire et de la défunte dame de la Roche. Ledit Sr Camus était veuf de la Delle Geslin, duquel mariage il n’y a point d’enfant.
  • Le 9 (juillet 1688) mourut madame Lanier veuve de défunt Mr Lanier cy-devant maître des requestes et qui avait été ambassadeur en Portugal ; elle s’appelait madame Liquet.
  • Le même jour (9 juillet 1699) mourut monsieur Lefebvre frère de feu Mr de la Guyberdrie Lefebvre. Il avait épousé la demoiselle Lejeune, dont il y a deux enfants ; le fils aîné a épousé une demoiselle de la ville de Beaufort, et la fille a épousé Mr de la Perdrillère.
  • Le 26 (juillet 1688) le Sr Bonvalet épousa la fille du Sr de la Barre Me chirurgien en cette ville et de la défunte dame Lecourt ?
  • Le 27 (juillet 1688) le Sr Behier commis aux traites à Saumur épousa la fille des défunts Sr Rouillard marchand et de la dame Angoulant.
  • Le 31 (juillet 1688) monsieur Baudry, fils de Mr Baudry, bourgeois, et de la Delle Bault de Baumont, se fit installer dans la charge de conseiller au présidial de cette ville, cy-devant possédée par feu Mr de Louzil Avril.
    Dans ce même temps, Mr de Cimbré Drouet épousa mademoiselle Butin, auparavant veuve de feu Mr … duquel mariage il n’y a point d’enfant.
  • Le 10 août (1688) mourut la femme de monsieur Boylesve de Goismard, conseiller au siège présidial de cette ville ; elle s’appelait de Chanzé Gaultier, fille de Mr de Chanzé Gaultier conseiller honoraire audit siège et de la dame de la Féaulté Renou. Il y a une fille de ce mariage.
  • Le 20 (août 1688) mourut monsieur Drouet sieur du Centré avocat au siège présidial de cette ville.
  • Le 7 septembre (1688) mourut la femme du défunt sieur Buret marchand Me apothicaire ; elle s’appelait Grudé. Elle a laissé trois enfants ; le Sr Buret marchand qui a épousé la dame … ; un autre qui a épousé la fille du Sr Richard de la ville de la Flèche, et une fille qui a épousa le Sr Chauveau Me apothicaire.
  • Le 12 (septembre 1688) mourut la femme de défunt monsieur Renard ; elle s’appelait Froger.
  • Le même jour (12 septembre 1688) mourut monsieur Moreau marchand Me apothicaire en cette ville.
  • Le 18 (septembre 1688) mourut monsieur des Cheminaux Herbereau.
  • Le 24 (septembre 1688) Mr Jacquelot gentilhomme veuf de la dame veuve de la Chapelle, épousa la fille de feu Mr Robert cy-devant messager de cette ville à Paris et de la dame Lecoq.
  • Le 26 (septembre 1688) mourut Mr Fortin, marchand de soie en cette ville.
  • Le 8 octobre (1688) Mr Legendre prêtre curé de St Maurille de cette ville fut tué par le fils de sa servante. Il fut arrêté deux jours après, saisi de sept mil livres en or qu’il luy avait volé. Il fut condamné le 16 ; il fut condamné de faire amande honorable et d’être rompu vif et expirer sur la roue ; ce qui fut exécuté le jour même.
  • Le 6 novembre (1688) mourut madame Berthelot âgée de 78 ans ; elle était mère de monsieur Bertelot de Boumois auditeur des Comptes en Bretagne ; elle s’appelait Gaudin.
  • Le 5 (novembre 1688) mourut monsieur du Plessis Berthelot, fils de monsieur de Boumois Berthelot, auditeur des Comptes en Bretagne ; il a épousé Melle de la Sablonnière Chotard, dont il y a un enfant.
  • Le 9 (novembre 1688) Le Douane, docteur en médecine, épousa la fille de Mr Chaillou, aussy docteur en médecine, et de la demoiselle Chauveau.
  • Le 14 (novembre 1688) mourut madame Toysonnier, veuve de feu monsieur Toysonnier greffier au siège de la prévôté de cette ville, mon oncle. Il n’y a point d’enfant de leur mariage ; elle s’appelait de Fontenelles Goupil.
  • La récolte des bleds et du vin a été cette année abondante, grâces à Dieu.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

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    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 Chapitre X. CARNAVAL

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Des affiches multicolores avaient annoncé que le « Carnaval à Nantes n’est pas mort ». On croit toujours qu’il veut mourir. Chaque année assiste à son désossement. Les commerçants s’ingénient pourtant à le ranimer de leurs efforts. Mais la défiance et la jalousie sont telles que leur succès reste stérile. Quoique rnal secondés les organisateurs avaient fait de leur mieux.
    Dès le matin une vive animation s’entrecroisait les rues. Les baladeuses aux tas de confettis, aux rnains courbes soutenant des sacs jaunes, des chasse-belles-mères et autres fantaisies anodines, s’allaient caler sur le bord des carrefours, sur le centre de la place Graslin et de la place Royale, déjà encombrées de marchandes de violettes et d’oranges. Les cafés préparaient leurs tables, ornaient leurs devantures. La ruche nantaise terminait ses préparatifs de plaisirs. Le monde ouvrier surtout s’apprêtait au franc rire.
    Quand deux heures sonnèrent chacun son tour aux cadrans de la ville, les groupes se tassèrent rue Crébillon, place Royale et placé Graslin. Toutes les autres rues de la ville vomissaient ce sang de bonne humeur sur un même point. Chère aux Nantais, la bousculade commença parsemée de luttes en couleurs ; les confettis flottaient comme des poussières échappées des ailes de papillons variés. Les serpentins se rendaient visite de croisées en croisées. C’était un dôme de tapisserie claire en fils de satin brillamment entrelacés. En avant, les jolies filles aux dents blanches, aux yeux humides de rires, aux lèvres bavardes, en avant, dans les poussées formidables des tourbillons humains ! Hardi, les giffles aux indiscrets. Les confettis sont des diables curieux. Où vont-ils parfois se nicher ? C’est une marée de libéralités qui passe, n’est-il pas vrai ? Osez donc, c’est jour de liesse et l’on ne se fâche que pour la forme ! Carnaval, jour de mascaraderies, jour qui ne compte pas dans l’année de la sagesse ! Il faudra bien ce soir dénouer ses bandeaux bourrés de poussières et rêver d’avoir pu les laisser dénouer en rêve. Audacieux ou rosses, c’est une fusée de moqueries où le plus trompeur est trompé lui-même. Ouvrez le parapluie de l’inconstance sous le déluge des vaines promesses et des menteuses futilités ! Qui saura la vérité de ce regard, de ce geste matin effeuillant les papiers roses ? Qui pénétrera le secret rapide de ce front mince où vous avez posé les doigts ? Que dit sous les corsages la chanson des coeurs essoufflés ? Quel refrain répètent-ils à l’unisson ? Un rythme affolant d’ivresse se déploie au grand air, plane en des accords martelés de cris rauques, d’effarouchements crédules ou rusés. Un tambour de basque sonne la charge délirante de la folie des mots, de la débauche des esprits, des étincelles gauloises et, hardies. Ouvrières habilleuses, gamines, étudiants, calicots, barbes grises, surveillantes, et autres, les grelots battent la mesure du vaste chahut légendaire de vos tranquillités, de vos laisses habituelles et de vos paix sournoises.
    Parmi le fluctueux hurlement quelques travestis tachent le noir d’une ponctuation vive. Des groupes chantaient des airs populaires, les mêmes scies bornant l’horizon de leurs esprits fêtards. Et les filles criaient qu’on les pincait, qu’on les chatouillait fort, se débattaient comme des couleuvres prises au piège. Il y avait aussi des voleurs de baisers sur les nuques distraites et les fouilleurs de gorges discrètes. Il y avait encore des brutes malfaisantes qui amusaient bestialement à la façon des chiens en rut : la plaie honteuse des foules qui s’étale contagieusement comme un eczéma.
    Remuée par les pieds la peluche épaisse des confettis dissipait un nuage compact de poussière. Une pluie en flocons imitant les grains de tabac à priser s’infiltrait au fond des nez, des paupières et des gorges. La fontaine de la place Royale s’épanouissait d’eau, et le vent collant les confettis sur les torses sombres, ils semblaient couverts de pustules saignantes où suppurantes. Dans le bassin se noyaient les papiers ronds. Ça le transformait en un étang fardé de goëmon millicolore.
    La cavalcade trancha la foule de la beauté funambulesque ou ironique de ses chars et des voitures fleuries. Les humains, faisant abstraction de leur dignité d’êtres supérieurs, formaient le cortège du Bœuf Gras royalement entouré de sa cour de futurs bourreaux. L’énorme roi que l’on applaudissait, à qui l’on jetait des fleurs et des baisers, arrondissait ses gros yeux placides, ses yeux inquiets de tout ce bruit, de ces honneurs étranges. Peut-être son étroite cervelle devinait-elle le rire de la mort dans les cris de joie qui le saluaient ? Nul ne saura le drame effroyable qui se passe au creux de ses prunelles élargies ! Son indifférence n’est-elle que l’héroïque résignations à l’échafaud où le char enjolivé le conduit ? Qui sait, si dans son attitude impassible, il n’y a pas du mépris pour les lâches qui l’acclament, polir les tortionnaires qui demandent sa tête derrière le bouquet offert ? Royauté carnavalesque, mensonge stoïque, pauvre innocent, dont on mangera les reins, sublime captif, paré de chaînes d’or pour la plus sincère des fêtes, la mort ! Sur l’autel de la folie, il faut du sang, du sang comme un sanglot sauvage excitant la foule au charivari monstrueux.
    Les bouquets s’arquent-en-ciel. Les violettes parfument discrètement les corsages. Les oranges font la joie des enfants petits ou grands. Des voitures fleuries à la foule, et aux fenêtres pleuvent les lazzis, les saluts, les bombes. Le boa bariolé du cortège glisse lentement au bruit de ses écailles à travers les rues.
    Charles et René regardaient nonchalamment dans leur voiture ornée de fleurs jaunes la masse grouillante des curieux. On les interpellait, étonnés de les voir en dominos jaunes avec des masques verts. Dédaigneux, ils laissaient errer leurs yeux sur l’océan moutonné de têtes flottantes. Jouir de l’amusement insane de leurs concitoyens ; les hommes et les femmes riant bêtement de leurs jeux ridicules, comme un moutard qui rirait d’effeuiller les pétales d’une rose ! Inconsciemment grisés de bruit fantômale, ils gesticulaient au bout de la corde, la corde des pantins de foires aux pains d’épices.
    Puis le soir s’était affolé sur la gaieté ambiante. Les cafés blancs de lumières se gavaient de consommateurs. Au café de France, sur la place Graslin, les deux amis allèrent s’attabler. Il se déroula une trame plus fantaisiste. Un mendiant de circonstance chanta des airs abracadabrants et fit la quête pour les pauvres. Les sous tintaient. Renversant verres et soucoupes une sultane singeait la danse du ventre, s’accompagnant de gestes ignobles et provocateurs, ennivrée des souillures qu’elle devinait en l’âme de ses admirateurs. Une autre s’évanouissait pour exhiber ses seins et les faire caresser des voisins. Plus audacieuses les grues, fières de leurs travestissements, guettaient les mâles, les frôlaient d’impudences.

  • Allons, beaux museaux verts, leur dit-une clownesse, en portant les mains à son corsage, il y a ici de quoi travailler toute une nuit sans repos.
  • Si ça t’arrive souvent, ricana Charles, ils doivent être flasques.
  • Viens donc voir, mon petit. Flasques, tu sais, faudrait pas me le dire deux fois.
  • Charles haussa les épaules. La femme recommença son offre ailleurs.

    A la nuit, l’électricité vidait ses ventres lumineux sur les carpettes des rues. Un flot nouveau s’amoncela. Les chansons cascadèrent plus nombreuses, plus brutales, hurlées par des poumons enthousiastes. Vers le cours de la République, les groupes se pressaient. Entre les grilles d’entrée, deux grandes tentes abritaient les humains des étoiles. Ou les avait remplacées plus près du sol par des lampions en guirlandes. Des orchestres primitifs et surtout tapageurs gueulaient des chachuts enlevants, des valses populaires. Et ça sautait, ça tournait, ça broyait les pieds, déchirait les robes, renversait les chaises. Des bandes de filles bras dessus, bras dessous cherchaient des cavaliers.

  • Masques verts, venez avec nous. Nous sommes gentilles et nous savons de jolies farces.
  • Passez, passez, les belles.
  • Les familles venaient avec leurs jeunes filles chastes. Des voyous leur pinçaient le derrière en passant. Le père roulait des yeux terribles. Joli bal des familles au milieu d’une promiscuité de vice qui forme glue. Hors des tentes, dans l’ombre, des couples s’écartent, cherchent du secret pour de calmes marchés. Au centre, la statue du général Cambronne grommèle encore une fois à l’adresse de son entourage fantoche le fameux mot, le résumé philosophique de ce bal à toutes les laideurs.
    Minuit vomi dans la tempête des gosiers, le peintre et le poète entrèrent au grand théâtre.
    Le bal.
    Les costumes scintillaient leurs satins précieux et leurs dorures. Une gamme féerique de couleurs à jets indiscontinus d’éblouissements sonores. Glissaient au vent de l’insensé les chamarris diaprés. Ondulaient les groupes étincelants de velours d’or ou de soie, à travers les buées folâtres de la joie. Et des beaux inconnus passaient doucement au bras sur des chemins de miel et de charmeuses causeries. Dans une atmosphère de secrets, semblant les ailes de moulins illusoires, arlequins, gnômes, pierrelets, tournaient au froufou des satins et des moires. Les intimes grelots de passagères amourettes tintaient de jolis airs dévots dans le parfum des collerettes.
    Les dames du ballet esquissèrent de gracieux pas, plus gracieux qu’un vol d’anges, semant les lueurs dé leurs riches décors. Les galeries des spectrateur étaient combles. Badauds enfantins venus pour s’égayer des projections d’une lanterne magique, étalant une mêlée fluctueuse de va et vient, fragiles accoutumances de tableaux disparates ! Vieillards passionnés s’efforçant de cueillir sur la frivolité des trames de ces longues tapisseries en fête les flammes d’amour qui s’y consument ! Et ceux qui ont besoin d’oublier, d’emplir leurs crânes de fantastiques vêpres de démences ! Et ceux qui s’amusent de riens, ceux qui n’ont pas de pensées, ceux qui ne savent pas pourquoi ils sont à regarder leurs semblables grimacer.
    Est-ce encore une grimace sincère ? Une grimace oublieuse du passé, insoucieuse de l’avenir qui ne sait pas que le présent paie le fossoyeur de sa tombe ! Gens de plaisir, jetez-vous au creux de la fosse d’oubli des brassées de pleurs, des brassées de ris, des brassées de douleurs fraîches ; inapaisées ? Une heure de foi sublime s. v. p ! Adorez le bénévole dieu des farces sur les débris du vieux préjugé ! Raillez les cervelles ritournelles de sermons ! Puisez à la tiédeur des épaules des ferments de sève galante ! Sonnez aux portes de la gaieté un carillon funambulesque ! Mêlez devant l’éternité, le diable à polichinelle, l’inanité sublime au grotesque !

    Note d’Odile : Cette page est numérisée de l’ouvrage Nantes la Brume,1905. Vous verrez ici d’autres auteurs et thèmes du vieux Nantes. Vos souvenirs seront les bienvenus sur ce blog. Merci !

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1687 : juin, juillet, août, septembre, octobre, novembre, décembre

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 1er juin (1687) mourut d’apoplexie et de paralysie monsieur de la Perrière Foussier conseiller honoraire au siège présidial, mari de la dame Gardeau.
  • Le même jour (1er juin 1687) monsieur de la Martinière Girault, conseiller au présidial, fils du feu sieur Girault greffier en chef au siège présidial et de la Delle Baché, épousa la fille de monsieur de la Sauvagère Guinoiseau conseiller honoraire audit siège et de la dame Boizourdy.
  • Le 2 (juin 1687) monsieur Bernard, conseiller au siège présidial, fils de Mr Bernard, conseiller honoraire au même siège et de la défunte dame de la Blanchardière Audouin, épousa la fille de feu Mr Robert Sr de Rouzée avocat et commissaire des saisies réelles et de la Delle Bellière.
  • Le 6 (juin 1687) mourut la femme de monsieur de la Houssaye Boucault conseiller au présidial ; elle a laissé six petits enfants ; elle s’appelait Gandon, fille du feu Sr Gandon et de la dame Denyau, mariée en secondes noces à Mr de Grée Poulain doyen des conseillers.
  • Le 7 (juin 1687) mourut madame Balain ; son fils droguiste confiseur a épousé la dame Olivier.
  • Le 8 (juin 1687) le Sr Viot marchand droguiste épousa la fille du Sr Chantelou du bourg de Foudon.
  • Le 13 (juin 1687) mourut monsieur Artaud âgé de 90 ans. Il avait beaucoup d’esprit, de mérite et de vertu. Il avait épousé la demoiselle Toublanc, dont il y a deux garçons ; l’aîné a épousé la défunte Delle de la Lande de la ville de la Flèche ; et le cadet mademoiselle Lefebvre de Chambourreau. Il fut enterré le lendemain dans l’église de St Michel du Tertre.
  • Le 15 (juin 1687) mourut le Sr Loyseau peintre.
  • Le 17 (juin 1687) mourut la femme de Mr Burolleau marchand de draps de soye ; elle s’appelait Guynoiseau, sœur de feu Mr Guynoiseau avocat ; elle a laissé plusieurs enfants.
  • Dans ce même temps mourut la femme de Mr de Lisle Me apothicaire.
  • Le 25 (juin 1687) le fils de Mr de la Roche Goizeau et de la Delle … épousa la fille de Mr du Brossé Mincé et de la Delle …
  • Le 26 (juin 1687) Mr Maussion conseiller au présidial, fils de Mr Maussion docteur en médecine et de la Delle Chedanne épouse Melle de la Gaudinière Poulain. Elle est sœur de madame Douasseau.
  • Le 3 juillet (1687) mourut à Château-Gontier monsieur de Chassonville cy-devant capitaine aux gardes ; il était oncle de Mr de Bailleur président à mortié au parlement de Paris, marquis de Château-Gontier.
  • Dans ce même temps mourut monsieur de la Hauterivière gentihomme.
  • Le 4 (juillet 1687) mourut la femme du Sr Camus commis aux traites ; elle s’appelait Geslin ; elle n’a point laissé d’enfants.
  • Le 7 (juillet 1687) mourut la femme de Mr de la Saulaye Guynoiseau avocat.
  • Le 13 (juillet 1687) monsieur Denis Guilbault avocat, fils du feu Sr Guilbault et de la dame Voirie, épousa la veuve du feu Sr Audiau ; elle s’appelle Hardy sœur de Melle Bassecourt Gault.
  • Le 26 (juillet 1687) messieurs François de Crespy fils de Mr de la Mabilière de Crespy procureur du Roy au siège présidial et de la dame Chauvel, et Georges Daburon fils de monsieur Pierre Daburon et de la défunte demoiselle Audouis plaidèrent leur première cause.
  • Le 3 août (1687) mourut la femme de monsieur Coiscault avocat ; elle s’appelait Chatelier ; elle a laissé trois enfants.
  • Le 9 (août 1687) mourut la femme du sieur Lourdais, marchand droguiste ; elle s’appelait Le Cout.
  • Le 12 (août 1687) mourut la femme du sieur Bedane, marchand de draps de laine ; elle s’appelait Caternault.
  • Le 13 (août 1687) mourut Legris, Me charpentier, âgé de 41 ans. Il était très habile et honnête homme dans son métier. Il a laissé cinq petits enfants. (il est rare que Toisonnier face place à un artisan dans son journal. On remarque que celui-ci est nommé uniquement par son nom de famille, non précédé de Mr)
  • Le 18 (août 1687) mourut madame Dupré de la Bourdrie ; elle avait été mariée en premières noces avec le feu Sr Mouteau dont il n’y a point d’enfant, en secondes avec le feu Sr Dupré dont il y a plusieurs. Elle avait été lontemps hôtesse de la maison de St Jean au faubourg St Michel du Tertre ; elle s’appelait …
  • Le 30 (août 1687) Mr Deniau et Mr Chantelou plaidèrent leur première cause.
  • Le 10 septembre (1687) mourut monsieur de Pontlevoy Froger, juge des traites.
  • Le 15 (septembre 1687) mourut la femme de monsieur Chauveau Me apothicaire. Elle s’appelait …
  • Le 28 (septembre 1687) mourut monsieur Cupif de Teildras conseiller au sièg eprésidial de cette ville, un des académiciens de l’Académie royale de belles lettres ; il avait épousé défunte dame Tréton duquel mariage il n’y a qu’une fille qui a épousé monsieur Boylesve conseiller au parlement de Bretagne.
  • Le même jour mourut madame Basile ; elle s’appelait Guérin.
  • Le 29 (septembre 1687) mourut Brulé Me boulanger.
  • Dans ce même temps mourut à Paris monsieur de la Grandière Laillé.
  • Le 2 (octobre 1687) mourut la femme de monsieur de la Jaille de St Offange ; elle n’a point laissé d’enfant.
  • Le 4 (octobre 1687) Mr Davy notaire veuf de la dame Boisard épouse Melle Marie Huet.
  • Le 13, le Sr Phelipeau marchand épousa la fille du feu sieur Saulay Me apothicaire.
  • Le 17 (octobre 1687) Mr Boylesve de Goismard, conseiller au siège présidial, fils de défunt Mr de Goismard Boylesve conseiller audit siège et de la dame Guinoiseau épousa la fille de Mr de Chazé Gaultier conseiller honoraire audit siège et de la dame de la Féaulté Renou.
  • Le 19, 21 et dernier (septembre 1687) arrivèrent onze cent hommes du régiment d’Alsace pour le quartier d’hyver.
  • Le 26 (septembre 1687) j’ai épousé mademoiselle Marguerite Guillot fille de feu Mr Guillot marchand en cette ville et de la dame Françoise Hodemont. Dieu donne sa sainte bénédiction à mon mariage.
  • Le 23 (septembre 1687) mourut madame Baillif, femme du feu Sr Baillif marchand ; elle s’appelait Audouin.
  • Le 17 novembre (1687) mourut la femme de Mr de Forges ; elle était fille de Mr de la Hurtaudière Chauvin avocat ; elle n’a point laissé d’enfant.
  • Le 18 (novembre 1687) mourut Mr de Hotteman, prêtre, curé prieur de Faye. Il était savant et très honnête homme.
  • Le 27 (novembre 1687) mourut Mr de Lusson prêtre doyen de St Lo.
  • Le même jour (27 novembre 1687) mourut madamoiselle Françoise Harangot, fille, âgée de 47 ans.
  • Le 29 (novembre 1687) mourut monsieur Lanier trésorier de l’église d’Angers, grand vicaire de monsieur l’évêque. Il fut enterré le mardy ensuivant dans la chapelle de Mrs Lanier dans l’église de St Michel du Tertre. Il était âgé de 86 ans.
  • Dans ce même temps mourut le Sr la Miche marchand poilier.
  • Le 2 décembre (1687) mourut le Sr Papillon marchand droguiste.
  • Le 15 (décembre 1687) le fils de Mr de la Porte Trochon, cy-devant grenetier, se fit installer dans la charge de lieutenant de Mr le prévôt possédée par Mr de Barault.
  • Le 19 (décembre 1687) mourut Mr Gault de Bassecourt, bourgeois de cette ville.
  • Le 21 (décembre 1687) mourut monsieur Jean Delorme avocat.
  • Dans ce même temps, mourut le Sr des Galachères Blouin. Il avait épousé la fille du Sr Binet.
  • Le 27 (décembre 1687) Mr Lezineau prêtre cy-devant avocat et maire de cette ville prit possession du doyenné de St Lo. (Note de Marc Saché, Archiviste du département du Maine et Loire, in Trente années de vie provinciale, 1930 : « René Lézineau, sieur de Gastines et de la Maronnière, avocat au Présidial, était fils d’un fermier de Saint-Macaire. Il fut nommé maire le 1er mai 1677 grâce à l’intervention du gouverneur de la province, Louis de Lorraine, comte d’Armagnac, grand écuyer de France, et malgré les protestations du Présidial et de plusieurs membres du conseil de ville qui lui faisaient grief « de sa basse naissance, du peu de suffisance et de mérite ». Il n’en fut pas moins continué dans ses fonctions jusqu’en 1681. Après son veuvage il entra dans le clergé, (voir sa mort en 1695). Il est bon de faire remarquer que le jugement sévère, porté sur lui lors de son avènement au mairat, doit être attribué à l’orgueil bourgeois du corps des magistrats plus intolérable et encore moins justifié que la morgue nobiliaire (voir C. Port, Dictionnaire, t2 p.514 ; Gontard de Launay, les Avocats d’Angers, 1888, p.176, Registre du Présidial p.98 note)
  • Cette année a été fertile en bled, vin et fruits.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

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    Journal d’Etienne Toysonnier, Angers 1683-1714

    1687 : janvier, février, mars, avril, mai

    Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
    Numérisation par frappe du manuscrit : Odile Halbert, mars 2008. Reproduction interdite.
    Légende : en gras les remarques, en italique les compléments – Avec les notes de Marc Saché, Trente années de vie provinciale d’après le Journal de Toisonnier, Angers : Ed. de L’Ouest, 1930

  • Le 7 janvier (1687) monsieur de Boult Sr de Cintré gentilhomme épousa la fille de défunts monsieur la Jaille Davoine et de la dame de Chandolant Goureau
  • Le 8 (janvier 1687) mourut la femme de monsieur Burin, cy-devant greffier en chef au criminel ; elle s’appelait Gigon.
  • Dans le même temps mourut monsieur de Montrou mari de la dame veuve monsieur de Gentian.
  • Le 17 (janvier 1687) le fils du Sr Jouanneau marchand ferron tua sa sœur âgée de 18 ans d’un coup de fusil sans y penser.
  • Le 19 (janvier 1687) mourut monsieur Ganne maître apothicaire en cette ville, âgé de 54 ans.
  • Le 26 (janvier 1687) mourut la femme de monsieur de la Saulaye Jouët ; elle s’appelait Callixte ; elle n’a point laissé d’enfants.
  • Le 27 (janvier 1687) mourut la femme de Mr Gouerrand valet de chambre de Monsieur le Duc d’Orléans ; elle s’appelait Davy.
  • Le mesme jour (27 janvier 1687) le sieur Touchais marchand de draps de soye, épousa la fille de madame veuve Vallée imprimeur.
  • Le 28 (janvier 1687) le sieur Paytrineau de la ville de La Flèche marchand de soye en cette ville épousa la fille du Sr Garciau greffier en chef au présidial et de la dame…
  • Le 29 (janvier 1687) mourut le Sr Banchereau archer de la maréchaussée de cette ville âgé de 42 ans.
  • Le 30 (janvier 1687) mourut monsieur Pierre Landevy prêtre fils de feu monsieur Landevy et de la demoiselle Boisard de la ville de Baugé.
  • Dans ce même temps mourut le Sr Bridier marchand de dentelles.
  • Le 31 (janvier 1687) mourut monsieur Guérin prêtre chanoine en l’église de St Maurille de cette ville ; il était âgé de 41 ans.
  • Le 1er février (1687) mourut la femme de défunt monsieur de la Plante Pierre, marchand droguiste en cette ville ; elle s’appelait Barbier ; de son mariage elle eût un fils unique décédé depuis quelques mois, marié avec la demoiselle Ganches, laquelle n’a eu aucun enfant.
  • Le même jour (1er février 1687) mourut la femme de feu monsieur de la Foucherie Reimbault. Elle s’appelait Chauvin ; elle a laissé plusieurs enfants, un banquier à Rome, un prêtre, une fille mariée avec monsieur de Pretiat Courault, et une autre décédée mariée avec Mr Le Rat, avocat dont il n’y a point d’enfants.
  • Le 3 (février 1687) les Sr Dolbeau et Bogais plaidèrent leur première cause, le premier avec beaucoup de succès.
  • Le 4 (février 1687) mourut la femme de monsieur Peneau de Pegon, conseiller honoraire au siège présidial de cette ville ; elle était extraordinairement puissante, aussi elle est morte d’apoplexie ; elle s’appelait Gaudichon ; elle n’a laissé qu’une fille mariée à Mr de Neuville Poisson, cy-devant maire de cette ville.
  • Le 6 (février 1687) on chanta une grande messe en musique en la salle du palais de cette ville où assistèrent messieurs du présidial en robe rouge, mrs de la prévôté, mrs de l’élection, mrs des eaux et forêts, et mrs les avocats, pour remercier Dieu de la santé qu’il lui avait plu de rendre au Roy. Tous les autres corps et communautés de la ville ont aussi rendu leurs actions de grâce, chacun en particulier.
  • Le 10 (février 1687) monsieur de Villeneuve du Cazeau gentilhomme, veuf de la dame Carion, duquel mariage il y a une fille, épousa mademoiselle Grimaudet, fille de Mr Grimaudet de la feue dame Boylesve, sœur de feu Mr de la Mauroisière Boylesve.
  • Le même jour (10 février 1687) mourut madame Mabit, femme du feu Sr Mabit, marchand de draps de laine ; elle s’appelait Grezil ; elle a laissé cinq filles, une morte femme du Sr Cazeau marchand de draps de laine, remarié avec la dame Maumusseau, une mariée avec le Sr Esnault marchand droguiste, une autre mariée avec le Sr Deschamps receveur des décimes à Rennes, une mariée avec le Sr Fagotin marchand de draps de soie et une autre fille.
  • Le même jour (10 février 1687) mademoiselle Boucault, fille de Mr de Hommeaux Boucault, conseiller honoraire au siège présidial, et de la dame Grudé, épouse Mr de Martin de St Aignan, gentilhomme.
  • Le même jour (10 février 1687) monsieur Dolbeau, avocat, épousa la fille de défunt Mr Gault Bassecour, aussy avocat, et de la Delle Hardy.
  • Le 11 (février 1687) mourut Mr Gontard avocat fils de feu Mr Gontard avocat et de la demoiselle Verdier. Il a laissé deux petites filles ; sa femme s’appelle Melle Primault, fille de Mr Primault et de Delle de la Haye Le Roy.
  • Le 21 du mois passé (janvier 1687) mourut Mr Chardon prêtre docteur en théologie, chanoine en l’église de St Maurille, à Riom en Augergne où il avait été exilé par ordre du … au mois de juillet 1676, après avoir paru trop attaché à la doctrine de Jansenius, qui dans ce temps là a tant fait de bruit dans de Royaume et pour être trop dans les intérêts de Monsieur l’Evêque d’Angers. Il est mort regretté de toute la ville de Riom.
  • Le 12 (février 1687) mourut une des filles de monsieur Gilles Guilbault, avocat ; elle avait été longtemps travaillée d’un mal qui l’agitait extraordinairement qui fit croire qu’elle était obsédée du démon, et ce qui fit qu’on l’exorcisa.
  • Le 19 (février 1687) mourut le sieur Bergereau ; il a marié une de ses filles à Mr de l’étang Gandon.
  • Le 3 mars (1687) monsieur de la Martinière Girault se fit installer dans la charge de conseiller au siège présidial de cette ville, cy-devant possédée par monsieur de la Féaulté Renou, à présent maire de la ville.
  • Le 14 (mars 1687) il fit un grand éclat de tonnerre sur les quatre heures du soir.
  • Le 15 (mars 1687) messieurs Lesourd et Gouyon plaidèrent leur première cause.
  • Le 16 (mars 1687) mourut la femme de feu monsieur Richard, receveur aux Ponts de Cé ; elle s’appelait Guédier, âgée de 80 ans.
  • Le 24 (mars 1687) mourut la femme de feu Mr Brillet bourgeois. Elle s’appelait Richard ; elle a laissé plusieurs enfants qui ne sont point encore établis.
  • Le 25, 26 et 27 (mars 1687) les 1 600 hommes du régiment d’Alsace qui étaient en cette ville en quartier d’hyver depuis six mois, partirent pour se rendre au camp de Maintenon pour la continuation des travaux et pour l’aqueduc de la rivière d’Eure.
  • Dans ce temps mourut le sieur Angoulant ; il avait été pendant plusieurs années valet de pié de monsieur.
  • Le 9 avril (1687) monsieur de la Saulaie Jouët, veuf de la demoiselle Calisse, duquel mariage il n’y a point d’enfants, épousa mademoiselle Françoise Brichet.
  • Le 8 (avril 1687) monsieur Avril, conseiller au présidial, fut élu conseiller et échevin perpétuel de l’Hôtel de cette ville en la place de Mr Avril son frère, cy-devant procureur du Roy à la Prévôté, et à présent major du château.
  • Le 14 (avril 1687) Mr Cordier, fils de Mr Cordier avocat et de la demoiselle Sager, plaida se première cause.
  • Le même jour (14 avril 1687) Mr Gouin, avocat, fils de défunts Mr Gilles Gouin, aussi avocat, et de la demoiselle Chevallier de Laurière, épousa la fille de défunts Mr de la Roche Trochon, grenetier en cette ville et de demoiselle de la Cour Lemanceau.
  • Le 16 (avril 1687) Mr Le Rat avocat veuf de la demoiselle de la Foucherie Reimbault, duquel mariage il n’y a point d’enfant, épousa la fille de monsieur de la Béraudière Cupif.
  • Le même jour (16 avril 1687) mourut mademoiselle Legaufre, âgée de 79 ans.
  • Le 21 (avril 1687) la fille du feu Sr Neveu, cy-devant marchand de draps de laine, et de la dame Nau, épousa le Sr Joly, fils du feu Sr Joly cy-devant fils du Sr Joly cy-devant notaire en cette ville.
  • Le même jour (21 avril 1687) le Sr Dupuy, veuf de la dame Bonnet, épousa la fille du Sr Roger, hôte. Il est hoste à Brissac.
  • Le 27, le fils cadet de Mr de la Roulerie gentilhomme, épousa la fille de défunt Mr de Lorchère Damné, dont le frère aîné a épousé la fille de feu Mr de la Boulaye Chauvel procureur du Roy au siège présidial de cette ville et de la dame Grimaudet.
  • Le 1er mai (1687) messieurs de Montiron Hernault, conseiller au siège présidial, et de la Tirrelière Poulain, furent élus pour échevins.
  • Le même jour (1er mai 1687) le fils de défunts Mr Caternault notaire et de la dame Perrouin, épousa la fille de défunt Mr Cherpentier avocat et de Delle Crosnier.
  • Le 2 (mai 1687) mourut monsieur Piolin, bourgeois.
  • Le 3 (mai 1687) mourut monsieur de la Hussaudaye Robert. Il a laissé plusieurs enfants ; une fille a épousé le Sr Delaunay marchand ; feu son fils était avocat et commissaire des saisies réelles.
  • Le 4 (mai 1687) le fils de feu Mr de Jonchère Thomas avocat et procureur de l’hôtel de cette ville, épousa la fille de feu Mr de la Douve du Cormier et de Delle Siette. Deux de ses sœurs Cormier ont épousé les sieurs de la Hamardière Neveu et Duménil d’Acigné.
  • Le 5 (mai 1687) mourut une fille de feu monsieur Aubert avocat et de la demoiselle Augeard ; elle était âgée de 20 ans.
  • Le 8 (mai 1687) Me Elys, avocat, veuf de la demoiselle Millecent de la Dodaye, duquel mariage il n’y a pas point d’enfant, fils de défunts Mr Elys conseiller au siège de la prévôté et de la demoiselle Brouard épousa la demoiselle Ganches veuve du feu sieur de la Plante Pierre, duquel mariage il n’y a point aussy d’enfant, fille de défunts Mr Ganches Sr du Brossé et de la Delle Toublanc.
  • Le 4 (mai 1687) mourut à Paris monsieur Lanier, thrésorier de l’Eglise d’Angers, fils de monsieur Lanier maître des requêtes et qui avait été ambassadeur au Portugal et de la dame Liquet.
  • La nuit du dernier jour d’avril et la nuit suivante, la plus grande partie des vignes d’Anjou gelèrent. On dit que la même disgrêce est arrivée dans les autres provinces. (mais fin décembre il note : Cette année a été fertile en bled, vin et fruits !!!)
  • Le 8 mourut à Paris madame de la Guérinière Boylesve. Son mari avait été longtemps dans les partys ; elle s’appelait Oger.
  • Le 12 (mai 1687) le fils de Mr Carré notaire en cette ville et de la défunte dame Chesneau épousa la fille du Sr Ponceau marchand à Saumur et de la dame Pigeon.
  • Le 15 (mai 1687) mourut la femme de Mr de Grée Poulain, fils de Mr de Grée Poulain, conseiller au siège présidial ; elle s’appelait Bernard.
  • Le 18 (mai 1687) mourut la femme de monsieur Duménil d’Aussigné ; elle laissa deux enfants ; elle est morte de la petite vérole ; elle s’appelait de la Douve du Cormier.
  • Le 19 (mai 1687) Mr Couesté avocat, fils de Mr Coueffé aussy avocat et de la Delle Huchedé, épousa la fille de feu Mr Aubert avocat et de demoiselle Augeard.
  • Le 20 (mai 1687) le fils de Mr Desplantes Jallet et de la dame Legoaqueller épousa la fille de Mr Gourreau conseiller honoraire au siège présidial et de la feue dame Eveillard.
  • Le 19 (mai 1687) Mr Carré notaire veuf de la dame Chesneau, épousa la veuve du feu Sr Mingon marchand ; elle s’appelle Pelletier.
  • Le 24 (mai 1687) messieurs Duport et Boussac plaidèrent leur première cause.
  • Le même jour (24 mai 1687) mourut subitement à Paris monsieur Belot sieur de Martou, mari de la dame Gohin, duquel mariage il y a plusieurs enfants.
  • Journal de Maître Estienne TOYSONNIER, Angers, 1683-1714
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    NANTES LA BRUME, Ludovic GARNICA DE LA CRUZ, Paris, 1905 CHAPITRE IX. EMPRISES MESQUINES.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

    Le facile ménage du peintre subit quelques lézardes. Après plusieurs scènes la fantasque Touffe d’or disparut définitivement un beau matin en criant à son amant un adieu sincère. Charles la regarda paisiblement partir bourrant sa pipe. Un mince détail, sinon un débarras. Elle l’ennuyait avec sa jalousie depuis quelques jours. Il rêvait d’un tableau original pour leur exposition du mois de mars. Or il avait trouvé le modèle en la personne de sa voisine.
    Madame Janny, la voisine, était une jeune femme de vingt-deux ans, forte, aux hanches puissantes, brune avec de larges cheveux et des yeux sombrement clairs comme des gueules de fournaise. Elle habitait avec son mari une mansarde étroite de l’autre côté du palier. Un logis qui sentait la misère affreuse. Peu de temps après son mariage, son époux fut cloué sur le lit par une maladie de la moëlle épinière. Depuis quinze mois, il n’en bougeait plus. A cet homme qu’elle adorait, elle consacrait son existence entière, le soignant, le nourrissant de son travail assez rare, car elle ne pouvait s’absenter. Jamais elle ne demandait de secours ; par exception seulement elle recevait chaque semaine des bons du Bureau de bienfaisance.
    Lorsque Charles apprit sa situation pénible et son noble servage, il s’empressa de lui rendre délicatement de bons services. Puis un jour il lui demanda de poser le nu. Il lui donnerait un prix très élevé. Vainement il essaya de la séduire par des offres même exagérées. Elle refusait toujours. Nul homme n’aurait le droit de voir son corps que son mari. Il ne le saurait pas. Qu’importe ! C’eut été une lâcheté, une tromperie. Elle serait encore plus que jamais fidèle au pauvre être douloureux qui se confiait naïvement à sa bonté.
    Charles n’avait pas insisté sur ces réponses fermes qui l’avaient touché au fond du cœur. Et maintenant que Berthe était partie, il l’avait priée de veiller à son désordre.
    L’image de l’oeuvre future le hantait. C’était Mme Janny qu’il évoquait au premier plan, puissante éducatrice de chair merveilleuse. Il fit de longues sorties au hasard espérant rencontrer un type semblable. Il fréquenta les mauvais lieux, les cabarets, les cafés chantants, les rues sordides. Rien ne répondait à son vouloir. Il palpa de ces viandes humaines à louer ou à vendre, voulut forcer sa foi, se mentir un instant. Châteaux de cartes qui s’écroulaient au moindre effort d’imagination. Il en fut presque malade. La tristesse l’isola. Des journées entières, il se renfermait chez lui, oubliant toute nourriture. Pêle-méle sur les meubles traînaient des croquis de femmes nues, où le visage — celui de sa voisine, — surmontait, des corps embryonnaires rayés de coups de crayons rageurs. Comme elle le gourmandait de sa conduite, il s’emporta contre elle. N’était-ce pas uniquement de sa faute s’il souffrait ? Ne pouvait-elle se sacrifier pour l’art ? Il ne la cherchait pas pour en faire sa maîtresse. Non ! Il la respecterait ainsi qu’on vénère une sainte. Ce ne sont pas des regards indécents d’homme qui l’effleureraient de souillures, mais des yeux vierges d’artiste, avides de l’unique beauté de la forme. Elle le priait de se taire, de ne pas insister. Elle ne pouvait céder à cause du malade aimé, car malgré tout c’était pour elle une vilaine trahison.
    Mussaud travaillait placidement à son sujet, une matrone épaisse devant épanouir un luxe de matière affriolante. Frayssère caricaturait des types avec ses ses marrons ; il en avait déjà terminé une demi-douzaine très drôles. Verneuil gardait sur son travail un silence discret. Il n’en était pas ainsi de Charmel. Oh ! les méridionaux, ils ne doutent jamais de rien.
    Charles contait son insuccès à son ami René. Celui ci le consolait. Bah ! elle cédera d’un moment à l’autre. De la patience et de la douceur. Bras dessus, bras dessous ils arpentaient les rues malpropres. L’oncle, M. de Lorcin avait réitéré ses invitations à son neveu. Le neveu continuait malgré les menaces de faire la sourde oreille. « Qu’il me flanque la paix, comme je la lui flanque. »
    Le 28 janvier à un dîner offert par René à son ami Delange pour sa fête, il y eut les petites Belle et Line. René ne les avait pas revues depuis leur rencontre au cirque. Il les interrogea adroitement sur le rendez-vous avec Varlette. Légèrement surexcitées par le champagne, elles dirent tout avec une impudeur étonnante. Elles avaient trouvé l’architecte à la porte ; il les avait conduites dans un hôtel meublé de la rue de la Boucherie. Pendant quatre heures il avait cherché des plaisirs insensés de lubricité où le ridicule se mêlait à l’ignoble. Assez obéissantes aux désirs du vieil impuissant, elles s’étaient efforcées de ranimer le feu éteint sous la cendre encore un peu chaude de la vieillesse. Elles riaient de raconter le hideux poussah nu comme un ver, allongé entre elles, la tête appuyée sur leurs pieds, passant sa langue avide entre leurs doigts, le long des chevilles, sous la plante, râlant comme un phoque avec des soupirs de joie, des cris d’enfants inarticulés. Il les avait fait revenir plusieurs fois, se livrant presqu’uniquement à son vice préféré, son mode de jouissance aphrodisiaque de ses sens séniles. René sentait ce récit lui mettre un gant de cuir défensif contre ces bourgeois aux saletés cachées, aux passions de pourceaux.
    René se rendait souvent rue Prémion, après son déjeuner, car il était sûr d’y rencontrer son ami. A la bonne chaleur de la salamandre nouvellement installée, ils causaient de leurs juvéniles aspirations. Deux amis goûtent d’immenses joies, que ne comprendront jamais les oiseux, à se réciter les fables de leurs âmes en une intimité épurée de femmes. Une fois en montant l’escalier, il rencontra le baron des Valormets. Celui-ci l’arrêta.

  • N’êtes-vous pas monsieur René de Lorcin ?
  • Si, Monsieur !
  • Je crois en effet vous reconnaître, car si vous souvenez je vous ai rencontré chez votre oncle vers le mois de novembre dernier.
    Je me souviens aussi de vous.
  • Je connais parfaitement M. de Lorcin. Nous faisions souvent la partie ensemble. Il y a bien longtemps qu’il ne vous a vu, m’a-t-il dit. Il me semble qu’il y a quelque chose d’urgent à vous apprendre. Ce sont vos affaires ; je n’aurais garde d’être indiscret.
  • René le regarda en face se demandant ce que signifiaient ses paroles.

  • Vous connaissez donc quelqu’un dans la maison ?
  • C’est ici qu’habite mon ami Delange.
  • Ah ! vous allez chez lui ! Un drôle d’individu ! Ce qui me déplait chez ces artistes, c’est la conduite dissipée qu’ils affichent partout. La jeunesse n’est pas de bois, je le sais malheureusement, mais qu’elle se cache. Votre oncle est absolument de mon avis.
  • Vous venez de sa part, on le jurerait !
  • Certes, non, M. de Lorcin lave son linge sale en famille, à moins de circonstances fâcheuses pour qui le veut bien !
  • Monsieur, je vous demande pardon, je suis pressé.
  • Quatre à quatre il se précipita chez le peintre à qui naturellement ii raconta la scène. Charles n’y prit qu’une médiocre attention. Dès que René eut fini son récit, il lui demanda brusquement :

  • La dernière fois que tu as vu mon père, as-tu remarqué sa tristesse préoccupée ?
  • Pourquoi cette question ?
  • Réponds-moi… Il m’a semblé ce matin excessivement drôle, craintif ; ses mains tremblotaient. Il m’a affirmé n’être pas malade. Je crains cependant quelque malheur. Le monde des affaires est changeant et la roue de la fortune s’arrête plus souvent sur les zéros que sur les dix.
  • Je ne veux pas te le cacher. Lolette et moi avons été frappés de son visage au cirque. Questionne-le plus vivement. Essaie de savoir.
  • Charles allait répondre, quand Mme Janny se précipita comme une folle dans l’atelier.

  • J’ai eu tort, monsieur Delange, de vous refuser de poser à vous qui êtes si bon pour moi. Vous me pardonnez, n’est-ce pas, car je suis toute prête maintenant, mais devant vous seul ?
  • Elle s’appuya sur le dos d’un fauteuil et deux grosses larmes coulèrent sur ses joues qui pâlissaient peu à peu.
    Les deux amis l’examinaient interloqués.

  • Qu’avez-vous, ma chère dame, qu’avez-vous à pleurer ? Qu’est-ce qui vous prend ? Que signifie cette offre brusque au milieu de votre douleur ?
  • Acceptez, je vous en prie, c’est de bon coeur. J’ai bien regret de mon refus. Il faut souffrir pour vivre et rester honnête.
  • Mais voyons, expliquez-vous ? Que vous est-il arrivé ?
  • Ah ! s’écria René, se rappelant sa rencontre dans l’escalier, M. des Valormets vous a donc, appris une triste nouvelle ?
  • Je ne peux pas vous dire. Non ! j’ai trop honte. Quelle canaille que cet homme !
  • Elle crispait ses poings et ses dents grinçaient de colère.

  • Vous devez au contraire nous avouer ce qui s’est passé entre le baron et vous. Si ce monsieur doit être puni…
  • Puni, vous voulez rire. Ce sont les Maîtres devant lesquels, nous, les pauvres, nous devons courber la tête. Et ils nous tyrannisent lâchement.
    Voyons soyez franche, que s’est-il passé ?
  • Eh bien voilà ! Chaque semaine le Bureau de bienfaisance m’envoie des bons par M. des Valormets. Il m’a fait un jour une proposition infâme. Je l’ai repoussée poliment pour ne pas perdre mes bons. Depuis ce temps-là, il n’a cessé d’insister, m’offrant le double, le triple de ce qui m’était accordé, puis il menaça de me faire rayer de la liste des pauvres. Je pris le parti d’aller moi-même au Bureau toucher mes bons, on me les refusa. Il le sut et insista davantage, voulut me tenter par de l’argent. Lassée, écœurée, je n’ai pu me maîtriser aujourd’hui, je lui ai craché mon mépris en pleine figure, le jetant à la porte de chez moi. Ses yeux flambaient, j’ai eu peur. Il a juré que je n’aurais plus à compter sur le Bureau. Alors il faut que nous crevions de faim mon mari et moi parce que je ne veux pas coucher avec les distributeurs de bons.
  • Calmez-vous, ma brave dame, lui dit doucement. Delange, vous ne manquerez de rien puisque je suis là. En second lieu mon ami René va s’occuper de votre affaire. Je ne sais s’il obtiendra raison, car tous ces gens-là, ça s’entend comme fripons en foire. Enfin,vous allez me faire le plaisir de ne plus pleurer ce qui me gâte vos jolis yeux, et maintenant que vous êtes mon modèle je tiens à le conserver intact.
  • René se donna une peine bien inutile à courir le reste de la soirée aux guichets des réclamations. Les humbles ont toujours tort. Ils mentent pour le plaisir de mentir et d’insulter les honnêtes gens qu’ils jalousent ? Le bon jeune homme sut d’une façon précise à quoi s’en tenir sur le chapitre de la charité collective et administrative. Ceux qui s’engraissent, ce ne sont pas les clients.
    En rentrant chez lui, il ne trouva pas Lolette, mais sur la table deux petites lettres, l’une rose sentant le trèfle incarnat, l’autre simple, griffonnée au crayon. Machinalement il ouvrit d’abord la plus belle. C’était une invitation de Mme Verdian à un thé pour le surlendemain. L’autre contenait ces mots : « René, adieu… il faut que je m’en aille:.. je t’aime toujours… J’ai nien du chagrin… oh ! les vilains hommes, les méchants qui me séparent de toi… ta Lolette chérie… »
    Il resta silencieux les dents serrées, les yeux pensifs, pendant qu’un frisson de peine lui glaçait les épaules. Il courut chez sa propriétaire :

  • Mme Demeux, avez-vous entendu venir quelqu’un chez moi dans la journée ?
  • Oui, Monsieur, il est venu vers deux heures un grand monsieur gris qui vous a demandé. J’ai répondu que vous étiez absent. Il est parti. Environ une demi-heure après, je l’ai vu revenir avec un autre homme. Ils ont frappé chez vous ; votre amie jour a ouvert
  • Vous les avez entendus causer.
  • J’en étais toute épeurée. Ils criaient parfois d’un ton terrible ; votre amie pleurait. Et cela pendant un bon quart d’heure, puis ils sont partis tous les trois. Elle marchait devant avec un gros paquet pleurant à chaudes larmes. Je n’ai pu m’empêcher de lui demander où elle allait. Alors le dernier venu m’a prié brutalement de m’occuper de mes affaires si je ne voulais pas en voir plus long. Je me suis renfermée chez moi, presque morte d’épouvante.
  • René, pâle comme une haut d’ivoire, ne répondit. rien. Il devinait une manoeuvre violente de son oncle. Une rage froide le faisait trembloter, plissait âprement son front blême. S’il avait pu prévoir l’af¬freuse aventure, il n’aurait pas été perdre des heures précieuses par charité. La bonté devient la balle qu’ils se lancent de raquette en raquette. Son oncle, il allait le troubler dans son repaire, il allait lui demander des comptes face à face sur le champ.
    Il courut. La course le rafraîchit. Il se reposa avant de sonner à la porte du bâtonnier. Sans demander quoi que ce soit, il passa hautainement devant le domestique el pénétra clans le cabinet de travail de l’avocat. En voyant entrer son neveu, M. de Lorcin qui écrivait posa sa plume et attendit tranquillement ce qu’allait lui dire le jeune homme. René ferma la porte derrière lui et debout, très froid :

  • Bonjour, mon oncle, vous m’avez plusieurs fois prié devenir vous parler. Je viens vous faire les ecuses de mon retard et vous demander ce dont il s’agit.
  • Mon Dieu, mon cher ami, j’avais à réprimander ta conduite un peu scandaleuse. Nous étions ici désolés de te voir suivre une voie préjudiciable à ton honneur et au nôtre, malgré les conseils que bous t’avions donnés. Nous sommes seuls, René, je fais abstraction des principes religieux. Puisque tu veux t’amuser, pourquoi ne t’amuses-tu pas en secret ? Pourquoi veux-tu que la ville entière sache que tu as une maîtresse et qu’on nous le jette au nez ironiquement ? Mais c’est de la bêtise de se ridiculiser ainsi, de se coller avec une femme quelconque quand on peut en cueillir des milliers qui fuient aux approches du matin ! Ma situation ne me permet pas d’avoir un neveu du même nom que moi balladant à son bras une catin par les rues de Nantes. D’ailleurs je ne comprends pas que tu n’aies pas eu honte d’abaisser ton nom aux yeux de tous les passants. Et ceux qui sont venus me le dire, des bourgeois fiers d’avilir notre race, de se montrer plus hauts parce que plus corrects. Ils riaient ; leurs rires cruels me faisaient mal. A mon âge, j’ai reçu, depuis un mois, trop de soufflets et trop de hontes !
  • René baissait la tête ; des larmes de colère honteuse mouillaient ses yeux. Il ne s’attendait pas à ce genre de reproches. Les paroles de son oncle touchaient juste. Le sang de ses veines avait le bleu du sang des Lorcin, le bleu de la noblesse orgueilleuse. Il avait été ridicule parce qu’il avait aimé. S’il avait été le chercheur de plaisirs grossiers, il serait resté le parfait gentilhomme. Et pourquoi la brute doit-elle annoblir l’homme, et l’amour l’avilir ?

  • Tu as peut-être cru l’aimer, continua M. de Lorcin, en es-tu bien sûr ? Je suis convaincu du contraire. L’amour n’est pas cet attrait rapide d’une chair facile à posséder et dont le charme n’a pas eu le temps de s’épuiser. Echafauder l’amour sur de la volupté, c’est bâtir avec des bulles de savon. Lorsqu’on a sucé le fruit jusqu’à la peau, on croque celle ci avec moins d’appétit, le reste, on le jette dégoûté.
  • Et si je veux goûter ce fruit jusqu’à la peau pour rejeter les déchets dans la paix de mon verger, de quel droit les passants viennent-ils lancer des pierres par dessus la haie ?
  • Du droit qu’ont les jaloux de se venger de leurs rancunes mesquines. Très beau de vouloir réformer la société, mais auparavant courbons-nous à ses lois si despotiques et gênantes soient-elles
  • Alors, qui montrera l’exemple de la future réformation ?
  • Ceux qui voudront pourvu que ce ne soit pas toi.
  • Pourquoi pas moi ?
  • Parce que tu ne t’appartiens pas uniquement à toi, mais à une race honorable dont il reste des descendants du même taux.
  • Et si c’était justement la raison de marcher en éclaireur dans cette nouvelle voie, guidé par la colonne lumineuse d’un nom immense. Si je le voulais parce qu’au-dessus des imbéciles qui m’insultent j’ai le mépris de les sentir mordre au talon, de les voir s’abaisser à leur tour en des replis de vipères, Si, parce que je puis les délier du sommet d’un orgueil auquel ils ne parviendront jamais.
  • Je t’empêcherais de faire une folie inutile !
  • Comme vous l’avez déjà fait ?
  • Comme je l’ai déjà fait.
  • Sournoisement, cruellement, sans vous soucier des larmes, des chagrins, des heures sans sommeils, de la tristesse des brusques séparations. Briser du bonheur avec autant d’indifférence qu’un crayon de deux sous, parce que l’orgueil, — la vanité plutôt — est froissé d’écouter bénévolement ces serfs du qu’en-dira-t-on !
  • Parce qu’il faut couper le mal dans les racines.
  • Qu’en avez-vous fait de ma Lolette aimée ? Quelle puissance draconienne avez-vous encore au vingtième siècle, qu’il vous suffise de parler pour que l’on sépare les amants en une seconde ?
  • Aucune puissance, seulement des droits pour modérer les têtes folles.
  • Vous appelez folie la sincère chanson d’amour, le duo des rires côte à côte, l’attachement juvénile des coeurs qui s’apprennent la vie mystérieuse ! Folie, les heures de bonheur parfait, du seul bonheur où le mensonge ne met pas ses doigts velus ! Folie, le charme de la jeunesse qui se penche en flots limpides de voluptés ! Folie, l’oubli des mesquineries du monde, l’indifférence des méchancetés d’autrui ! … Folie, si vous voulez, mais folie que vous devriez saluer au passage et non tacher de boue ou de sang.
  • Tes expressions me sont la preuve qu’il n’était que temps d’agir brusquement.
  • Avec des façons de valets, des précautions de bandits louches de romans.
  • Mon neveu, tu t’oublies à m’insulter !
  • Dites-moi où est mon amie ?
  • Pour que tu ailles la chercher…. cela m’aurait bien peu servi de l’avoir fait partir.
  • Je ne resterais pas à Nantes. Je ne vous gênerais plus, car c’est uniquement votre orgueil qui est en jeu.
  • Un orgueil qui est le tien et qui sera le même à cent lieues. Inutile d’insister davantage.
  • C’est dit. Vous êtes le plus fort aujourd’hui. Il ne me reste plus qu’à me venger en attendant que des gens plus éclairés suppriment ces droits exorbitants qui n’ont d’autre source nécessaire que égoïsme. Plus d’amour, plus de maîtresses. Ou prendra l’autre route, celle qui vous gène le moins dites vous, mais sur cette route il y a des pierres, et ces pierres seront pour vous. Vous me faites souffrir en mon corps et en mon âme, je vous le revaudrai au centuple. Je sais où est l’angle sensible, je chercherai qui l’écornera le mieux. Nous sommes de même race, têtus et volontaires. Merci de me l’avoir réappris. Je ne l’oublierai plus. Le mal pour le mal, chacun selon sa force, belle devise de conduite haineuse et vindicative que l’on apprend à votre école. Aurez-vous le courage de vous en prendre directement à moi au lieu d’attaquer une petite fille ?
  • As-tu fini bientôt ?
  • Un mot encore. Je ne dépends pas de vous. Si je n’ai pas su protéger mon bien contre les détrousseurs de l’ombre, je me tiendrai sur mes gardes pour me défendre. D’homme à homme, sang contre sang, il n’est pas bien sûr que vous ayez la victoire malgré votre puissance, votre fortune et vos adulateurs. Vous ne représentez ni mon père, ni ma mère, vous n’êtes plus pour moi que la race d’à côté. Je la respecte avec défiance.
  • Va-t-en, tu deviens grossier !
  • Au revoir, mon oncle, vous présenterez mes ramages respectueux à ma tante.
  • Quand la porte se fut refermée sur les pas de son neveu, M. de Lorcin cassa d’un coup sec son coupe-papier d’ivoire et ses doigts osseux en émiettèrent les restes sur le tapis.

    Rentré chez lui, René s’empressa d’accepter l’invitation de Mme Verdian.

  • Autant commencer par celle-là puisqu’elle y tient, pensait-il.
  • Charles auquel il conta son aventure, lui donna des conseils stoïciens.

  • Vois-tu, Charles, elle serait partie de son plein gré, je n’aurais pas fait un pas pour courir après elle. J’aurais bêtement pleuré au coin du foyer désert. Mais savoir qu’ils me l’ont enlevée, çà m’enrage au point que j’en oublie mon chagrin.
  • Allons, mon pauvre René, prenons notre si¬tuation avec une sage tranquillité. Il y a quelques jours nous étions mariés, aujourd’hui nous sommes veufs comme le jour de ton arrivée à Nantes. Est-ce un malheur ? Nous n’en savons rien ! Ce qui arrive doit être une nécessité contre laquelle nous serions bien fats de réagir. A quoi bon ? Cailloux légers des bas-fonds de la vie, les vagues des événements nous arrondissent le caractère. Rire et souffrir, tout est là, parfois l’apothéose d’une conscience indécise. Berthe, Lolette deux fleurs écloses sur le parterre de nos jardins, fleurs cueillies, humées, fleurs perdues dont le souvenir se dissipera comme leur parfum tendre de femmes aimées. Incidents de notre existence, chausse-trappes au long de la route, passé d’hier déjà trop loin. Ne regarder jamais derrière soi, agir le présent, contempler fièrement l’avenir, indifférents aux lambeaux de nos vêtements accrochés dans les haies !
  • René se promenait les bras croisés au travers de l’atelier ; son air sombre contrastait avec le calme de l’ami qui le haranguait du fond d’un fauteuil voltaire.

  • René, tu ne m’écoutes pas.
  • Je te dis que ce sont des canailles !
  • Soit. Ton âme fière devrait-elle s’attarder à des niaiseries ?
  • Des niaiseries ! Tu es fou ! Des niaiseries, ce droit de me voler ma maîtresse !
  • Niais ton emportement !
  • Que veux-tu donc que je fasse : pleurer comme un sot ou leur tordre le cou ?
  • Ni l’un, ni l’autre. Prendre la fortune comme elle vient et te rappeler qu’au-dessus des vicissitudes de nos vies, il y a notre amitié qui vaut plus de cent haines, plus de cent amours.
  • René fut touché. Il s’apaisa.

  • Merci, mon vieux, nous ne nous quitterons plus. Aucune femme ne viendra rompre notre fraternité de son ostracisme tenace.
  • Chez Mme Verdian le thé servi aux reflets d’un salon vert et or, René retrouva d’anciennes connais¬sances : Varlette qu’il affecta beaucoup de connaître et, qu’il terrifia de ses sous-entendus indiscrets, le baron des Valormets auquel il confia que le pire de l’honnêteté était de satisfaire un vice avec de moyens vertueux, le beau Gachard qu’il complimenta sur l’odeur nouvelle de son mouchoir, il entoura publiquement l’hôtesse de ses soins empressés et ultra-galants, afin de faire jaser la société sur de futures relations. Mme Verdian, charmée, congédia définitivement le jeune Gachard en une courte scène derrière un paravent. Au bout d’une heure, René, maître de la place, blagua les moeurs inquiètes de la ville.

  • L’amour est le premier devoir de l’homme. Sans l’acte d’amour que serions-nous ? Des bonbons de néant ! Des bonbons que l’on goûte à deux entre la mousseline des caresses. Et c’est l’acte le plus sacrifié. On en rougit, on le cache, ou l’ensevelit dans la lourdeur de l’ombre comme une jolie fillette sous d’affreuses capelines moires. Si parmi vous, mesdames, j’avais une maîtresse ou une femme qui me désirerait, oserait-elle ici-même se mettre nue et se coucher sur le tapis ? Si je la prenais devant vous, y en a-t-il une seule qui resterait calme et respectueuse ? Ne deviendriez-vous pas un troupeau hostile d’enfiellées semant partent la grande nouvelle de la contaminée sur la porte de laquelle vous inscririez le signe du lépreux. Chose étrange, l’amour, ce bêlement exquis de la douceur, enfanterait la haine, ou plutôt l’ennui de ne pouvoir suivre la même voie, sans que le voisin agisse comme vous agiriez aujourd’hui. L’amour n’a qu’un ennemi unique, un ennemi qui vaut la plus formidable des armées hostiles, l’envie. Souvenez-vous de la parole de Renan : « Si l’humanité n’avait plus qu’une heure et qu’elle en fût avertie, elle se transformerait en un immense troupeau de bêtes à deux dos.
  • Lon se récriait. L’on discutait. C’était un beau débat de femmes prudes qui savaient depuis longtemps à quoi s’en tenir sur la vertu forcée de leurs amies. Varlette s’agitant trop vertement contre René reçut le coup de fouet suivant, qui lui cala la langue le reste de la soirée : Monsieur Varlette, notez qu’il s’agit de l’acte naturel de l’amour et non de certains procédés grotesques qui le disqualifient. Puis René allégrement voulut clore la discussion par un toast malin :

  • Le plus sage d’entre nous, c’est M. le baron de Valormets. Son silence cependant n’est pas charitable. Sa longue carrière aurait pu nous fournir bien des arguments pour ou contre. Vous êtes avare de paroles, M. le baron, à une époque où l’on fait marché de tout, même de la charité. Un toast à M. des Valormets, sans rancune.
  • Celui-ci n’osa pas se fâcher devant le regard cruellement moqueur du jeune homme. Il avait compris.

    Cette nuit, alors que Mme Verdian se pâmait entre ses bras, René songea avec délices que ses gestes audacieux dans le salon envers sa nouvelle maîtresse avaient été épiés, que ses paroles railleuses allaient donner du coeur et de la langue aux bavardes, et que le remplacement du beau Gachard ferait boule de neige jusqu’au boulevard Delorme.

    Ludovic Garnica de la Cruz. Nantes la brume. 1905. Numérisation Odile Halbert, 2008 – Reproduction interdite.

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