Contrat d’apprentissage de chirurgien à Angers (49), 1653

pour André Goullier chez René Gendry (Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E)
Voici un nouveau contrat d’apprentissage, voir tous les autres
Merci aux courageuses personnes qui se sont exprimées sur la durée d’apprentissage du chirurgien autrefois. Ce billet va les décevoir.
Lors de nos recherches dans les registres campagnards, nous rencontrons très, très rarement le médecin, le plus souvent d’ailleurs nommé « docteur en médecine » et un peu plus souvent le chirurgien, encore que la majorité des paroisses n’a ni l’un ni l’autre.
Avant de lire le contrat d’apprentissage qui va étonner plus d’un, j’ai jugé utile, ne serait-ce que pour moi-même, de faire le point sur ce métier d’antan. J’ai donc été à la Médiathèque lire

Pierre Duhamel Histoire des médecins français, Plon, 1993
Jean-Charles Sournia Histoire de la médecine et des médecins, Larousse, 1994. Ce dernier pèse plusieurs kilos, car c’est l’un de ces ouvrages d’art aux magnifiques iconographies.

Et j’ai refait aussi refait le point à travers les dictionnaires d’antan :

Chirurgien, s.m. Celui qui fait profession de la Chirurgie, qui exerce la Chirurgie
Chirurgie, s. f. Art qui enseigne à faire diverses opérations de la main sur le corps humain pour la guérison des blessures, playes, fractures
Médecin, s. m. Qui fait profession d’entretenir la santé & de guerir les maladies. (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition, 1694)

Voici d’abord la retranscription du contrat d’apprentissage du chirurgien : Le 17 mai 1653, devant Pierre Desmazières notaire royal à Angers, contrat d’apprentissage pour un an d’André Goullier (c’est une famille aisée en campagne, sachant lire et écrire, et que Toysonnier aurait appellée fermier de campagne) jouissant de ses droits comme il a dit, assisté de Me Jacques Goullier prêtre son frère Dt à Angers StPierre, chez René Gendry Me chirurgien à Angers St Pierre, qui promet l’avoir en sa maison, le nourrir, coucher, lui montrer et enseigner à sa possibilité l’art et métier de chirurgien en ce qui en dépend.
Ledit Goullier a ci devant convenu apprendre ledit art et promet obéir et servir ledit Gendry en toutes choses licites et honnêtes fidèlement sans se jamais demettre de ladite maison pendant le temps d’un an, à commencer lundi prochain,
moyennant la somme de 100 L, que ledit Goullier promet payer audit Gendry à la Toussaint prochaine sans que ledit payement puisse être retardé, ni que ledit Goullier puisse espérer aucune restitution si ledit Goullier s’absente de ladit maison sans cause légitime… et promet payer à sa femme 12 L pour les dépenses. (ce point, qui n’apparaît pas dans les contrats d’apprentissage précédents, est probablement le signe d’une garde-robe plus riche et surtout mieux entretenue, ce qui a contrario, laisse à penser sur le peu d’entretien général des autres)

  • Commentaires, basés sur mes lectures :
  • Au 17e siècle, seul le médecin a fréquenté l’université pour apprendre. Là, il a dû passer 4 années, car il a assimilé le latin (effectivement cela prend du temps), ne serait-ce que pour retenir le nom des médicaments, encore le plus souvent exprimé en latin en 1653. Les études sont sanctionnées par un diplôme de docteur, mais la formation est très inégale selon la faculté fréquentée. Les plus côtées sont Montpellier, Paris, Göttingen, Halle, Padoue, Bologne, Leyde et Edimbourg. C’est pourquoi on observe en Haut-Anjou des étudiants partis apprendre à Montpellier, et là je laisse à Marie-Laure, qui en est native, le soin de nous faire un commentaire.

    De leur côté, les apothicaires forment alors une profession assez bien règlementée, et, ils pratiquent aussi la visite des malades et la prescription de médicaments. A tel point, qu’ils ont le droit officiel de signer un certifical médical, au même titre qu’un médecin et un chirurgien, en 1639, date à laquelle le roi a convoqué le ban et l’arrière-ban, que je suis en train de retranscrire pour l’Anjou, et les perclus de gouttes, gravelle et autres incommodités sont priés de fournir un certificat de médécin, chirurgien et apothicaire. C’est dire la confusion qui règne en 1639 ! Bien entendu les querelles entre ces professions sont nombreuses… puisqu’elles empiètent l’une sur l’autre.

    Enfin, comparés aux médecins, les chirurgiens, plus nombreux, sont moins instruits, moins riches, moins honorés de la société. Après une lutte séculaire contre les médecins, et des démélés dérisoires jusque devant la justice, le 18e siècle leur apporte en France une réhabilitation. Ils s’affranchissent définitivement de toute accointance professionnelle avec les barbiers, obtiennent la création d’une Académie Royale de chirurgie, malgré la fureur de la faculté de Paris, et peuvent désormais comme les médecins, soutenir des thèses et devenir docteurs. Finalement médecins et chirurgiens se retrouvent côte à côte au sein d’une Société royale de médecine que la Faculté cesse bientôt de bouder. (Sournia, Opus cité)

    Arrive la Révolution, qui fait table rase du passé, et l’art de guérir devient libre et accessible à tous. Antoine de Fourcroy, chimiste et médecin, obtient quelques mois après la chute de Robespierre, le rétablissement de 3 écoles de santé à Paris. Puis le médecin Cabanis et le chimiste Chaptal, influencent la rénovation de l’enseignement médical, et les réformes, considérables, qui suivront, constituent la base du système actuel.

    En résumé, le chirurgien, d’abord proche du barbier, est apte aux techniques manuelles, mais surtout non diplomé et peu riche. Il s’oppose au médécin, rare, issu de la faculté, diplomé, mais moins enclin aux pratiques manuelles. Enfin, l’apothicaire, qui connaît parfaitement les médicaments, tente lui aussi de soigner… J’ai cru comprendre qu’au cours du 18e siècle, les chirurgiens choisissent progressivement d’entrer ou non dans le nouveau système d’études, et ceux qui refusent ces études devient au fil du temps des guérisseurs c’est à dire des non diplômés… Ceci ne s’est pas fait en un jour, et le 18e siècle a connu toutes les juxtapositions…
    Ceci était l’histoire simplifiée des études du personnel soignant du 16e au 18e siècle, et non pas l’histoire des découvertes médicales, qui seraient trop longue ici. Merci de vous tenir à l’enseignement si vous avez des commentaires…

    Mais de vous à moi, le chirurgien en 1653 devait avoir tout de même un certain prestige même s’il n’était pas aussi prestigieux que le médecin, car André Goullier, qui entre en apprentissage avec l’appui de son frère, prêtre, est issu d’une famille de fermiers de campagne (comme les appelle si joliement Toysonnier), et ils ont les moyens d’entrer à la faculté, à moins qu’il n’ait pas été enthousiasmé à l’idée d’apprendre le latin, ou pire, peu doué pour l’apprendre.

    Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.