La fouace aux rois : bail à moitié du Carqueron, Le Lion-d’Angers, 1613

 

J’habite le sud de Nantes, c’est dire le pays de la fouace ou fouasse. Son originalité tient à sa forme étoilée à 6 cornes, et surtout sa saveur qui se marie bien volontiers à celle du muscadet, autre produit de ma région.

Connue en Anjou sous le noms de fouée, selon les historiens (Produits du terroir, Pays de la Loire, Inventaire du patrimoine culinaire de la France, Albin Michel, 1993) je l’ai très souvent rencontrée sous le nom  de fouasse dans les baux à moitié.

Dans les baux à moitié elle est toujours un droit à payer au bailleur à la fête des rois, et doit être faite de la fine fleur de farine d’un boisseau de froment.

Les baux à moitié ne disent donc pas si elle était consommée à d’autres occasions que les rois, alors que l’ouvrage cité ci-dessus la donne consommés à quelques fêtes ou foires, telle la fête du vin nouveau…

La forme en étoile n’est jamais évoquée  dans les baux, qui se contentent de spécifier la qualité de la farine et sa quantité.

 

Je m’aperçois que je ne l’avais mise en mot clef, mais si vous tappez fouasse dans la case recherche, vous avez environ 50 baux à moitié qui l’évoquent.

Ne me demandez pas l’histoire de la fève, elle n’est pas dans les baux, et puisque tirer les rois est une pratique très ancienne, je suppose que la fève était ajoutée ensuite par le bailleur qui recevait la fouace. J’ajoute que l’ouvrage que je viens de vous citer n’évoque pas la fève et le tirage des rois.

Alors bon tirage des rois ! Et pensez à vos ancêtres closiers ou métayers qui allaient ces jours-ci livrer leur fouace en ville au bailleur. Et bien entendu, ils y allaient à pied. Alors une pensée pour eux.

 

 

Selon le Dictionnaire du Maine-et-Loire de Célestin Port, avec mes ajouts entre () :

Le Carqueron est une ancienne gentilhommière des 16e – 17e siècles, avec chapelle, tourelle, motte seigneuriale, relevant de la Roche-d’Iré. Il y existait un moulin sur un vaste étang desséché et mis en culture au 17e siècle. (il n’est pas question de l’étang ou du moulin dans ce bail de 1613) – En est sieur h. h. Bertrand de Mauhugeon (que Célestin Port a écrit Maubugeon, mais je pense que c’est Mauhugeon, d’une famille que j’ai souvent rencontrée) écuyer, 1484, Jacques Lecamus, grenetier de Château-Gontier décédé en 1494, Jean Lecamus 1499, Nicolas Richomme 1542, 1551, Charles Hunault, écuyer, 1618 (et selon le bail qui suit, on peut ajouter avant lui son père Magdelon Hunault, qui possède la Carqueron par alliance avec Françoise Richomme) – Bourdigné et Roger mentionnent parmi les vaillants aux guerres anglaises les seigneurs de ce petit manoir. (donc les Mauhugeon)

Pour les termes graissés ci-dessous par moi, voyez mon lexique, qui les donne déjà, et pour compléter ce lexique voici aussi :

coin de beurre : pièce de beurre à peu près en forme de coin, qu’on vendait à la halle. On disait mieux motte.

métive : dans le Maine et l’Anjou c’est la période des moissons

métivage : droit du seigneur sur les moissons

métivier : journalier qui travaille pendant la récolte et qui est payé en nature sur la récolte

teille : écorce de la tige du chanvre et du lin qui contient la filasse, qui entoure la chènevotte qui le tuyau central de la tige. On dit aussi « tille ». On a parfois utilisé la teille pour servir de lien à la place de la paille de seigle.(M. Lachiver, Dict. du monde rural, 1997)

Le Lion-dAngers, collection personnelle, reproduction interdite
Le Lion-d’Angers, collection personnelle, reproduction interdite

Le bail qui suit est clairement libellé, même au point de vue linguistique. Il s’agit d’un terre importante car ils sont 2 métayers à signer ensemble le bail, en outre, il est dit à la fin qu’ils ont aussi un closier sur le lieu. Ils devront aussi livrer beaucoup en nature (allez voir le beurre, les chapons etc…, en quantité astronomique, enfin, à mes yeux). En tous cas, il fallait bien s’entendre pour prendre ensemble un bail, et je parie, sans les connaître, qu’ils ont un lien de parenté.

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E36 – Voici la retranscription de l’acte : Le 28 janvier 1613 par devant nous Pierre Richoust notaire royal héréditaire à Angers, personnellement establie damoiselle Françoise Richomme veuve de Magdelon Hunaud écuyer vivant sieur de la Thibaudière et de Marsillé, demeurant en ceste ville paroisse de la Trinité d’une part, et Louis Riveron métayer demeurant au lieu et métairie de Quarqueron du Lion d’Angers,
et Pierre Crannier aussi métayer demeurant à présent au lieu et métairie de la Boderie dite paroisse du Lion d’Angers d’autre part
soubmettant etc même lesdits Riveron et Crannier eulx et chacun d’eulx seul et pour le tout sans division etc confessent etc avoir fait et font entre eux le bail à mestairaige qui s’ensuit

c’est à scavoir que ladite Richomme a baillé et par ces présentes baille et accepte auxdits Riveron et Crannier qui ont pris et accepté d’elle audit tiltre de mestairaige et non autrement pour le temps et espace de 5 années et 5 cueillettes entières et parfaites et consécutives l’une l’autre qui commenceront au jour et feste de Toussaints prochainement venant et finiront à pareil jour scavoir est le dit lieu et mestairei de Quarqueron auquel lieu ledit Riveron est à présent demeurant et comme il a acoustumé en jouir sans aucune réservation
à la charge desdits preneurs de labourer cultiver graisser (il s’agit des engrais, qui sont bien entendu naturels) et ensepmencer par chacune desdites années les terres et jardins dudit lieu aultant qu’il a acoustumé et qu’il pourra porter de bonnes et compétentes semences en temps et saisons convenables bien et duement comme il appartient et pour ce faire lesdites parties fourniront de semences par moitié
et pour le regard des bestiaux qui sont à présent audit lieu lesdites parties ont été d’accord qu’ils sont communs entre ladite bailleresse et Riveron par moitié
et pour le regard des cens rentes charges et debvoirs dus à cause dudit lieu ils se paieront et acquitteront entre lesdites parties par moitié pour la rente de bled seulement et celle par argent lesdits preneurs les acquitteront pour le tout
et lesdits preneurs entretiendront les maisons granges estables dudit lieu en bonne et suffisante réparation de couverture et terrasse et les y rendra à la fin dudit présent bail, dont lesdits preneurs se sont contentés, d’aultant que ledit Riveron s’y est tenu par ses précédents baux
de recueillir amasser et agrener par chacun an par les preneurs les grains et fouins dudit lieu et en bailler et rendre une moitié franche et quicte à ladite bailleresse en sa maison en ceste ville franche et quitte sans aucun droit de mestivier,
bailleront lesdits preneurs chacun an à ladite bailleresse 20 livres de beurre net empoté à la Toussaint et 4 coings de beurre frais aux vigiles des 4 festes annuelles, 6 chapons et une fouasse d’un boisseau de froment aux Roys, 12 poulets à la Pentecôte, une poule de février, la moitié des oisons qui seront nourris sur ledit lieu, et la moitié de chambre

chambre : selon le Dictionnaire du monde rural, de M. Lachiver, 1997 : au 16e siècle, le chanvre. Le mot se retrouve de l’Anjou au Blaisois et à la Normandie.

aideront à faire les vendanges dudit lieu
et fourniront d’une charte de bœufs avecq beusse (busse) pour mener la vendange des vignes dudit lieu
et aideront à la pressurer
et aideront à charoyer le vin jusques audit lieu de la Thibaudière ou sur le port dudit Lion
feront lesdits preneurs chacun an sur ledit lieu le nombre de 20 toises de fossé tant neuf que relevé
et planteront aussi sur ledit lieu chacun an 6 esgrasseaulx de poiriers et pommiers et les anteront de bonne manière et les arimeront d’épines pour obvier aux dommages des bestes
aideront d’une journée d’un homme faucheur et d’un fanneur pour aider à faucher et fanner le pré dudit lieu de Quarqueron
planteront chacun an 6 plants de saules en la saulaie dudit lieu
ne pourront couper aulcuns bois que ceulx qui ont acoustumé d’estre esmondez
ne pourront céder le présent bail sans le congé de ladite bailleresse
souffiront le closier dudit lieu de jouir de son bail
laisseront lesdits preneurs à la fin dudit bail ledit lieu duement labouré et ensemencé et à la cueillette ensuivant y auront le droit de colon
et laisseront ledit lieu garny de ses foings pailles chaulmes et engrais sans en enlever de sur ledit lieu
à ce tenir etc obligent etc même lesdits preneurs eux et chacun d’eulx seul et pour le tout sans division etc renonçant etc par espécial au bénéfice de division d’ordre et discussion etc foy jugement condamnation etc
fait et passé Angers maison de ladite bailleresse environ midy en présence de Michel Gerfault et Alain Gaultier demeurant Angers tesmoins et lesdits preneurs ont dit ne scavoir signer enquis, ainsi signé en la minute des présentes Françoise Richomme, Charles Hurault, M. Gerfault, Gaultier et nous notaire susdit Richoust

Tandis qu’en Anjou on tissait le lin, à Paris le meunier dormait dans le chanvre jaune : Montmartre 1694

Surprenante différence dans les modes de vie au 17ème siècle, car en Anjou on cultive certes du chanvre, mais il vient en second plan, et dans les inventaires après décès les draps, nappes et chemises sont en lin.

Chez moi, dans ma mémoire familiale et mes habitudes, le chanvre fait des draps plus épais, et on les utilisait pour les vendangeurs, ou autres employés. Je possède encore 3 draps de chanvre, archivés au fond de l’armoire mais très, très rarement utilisés.

  • Bilan actuel de l’industrie textile en France :
  • Une de mes nièces m’a posé la semaine dernière la question du tissage en France, car elle pensait qu’il avait presque disparu. Puisque je connaissait encore les Toiles de Mayenne, entre autres, j’ai donc tenté de faire le point en 2018, et il ne semble pas tout à fait négatif, mais semble plus ancré en spécialités et haut de gamme. Nous avons en effet de très nombreuses spécialités régionales qui sont loin de disparaître.
    Et le lin et le chanvre en sont.

    Ils tissent encore le lin dans le Nord, entre autres.
    Mais les Toiles de Mayenne font partie de notre patrimoine du Maine-Anjou.

    Et ils tissent le chanvre.

    Union des industries textiles

    Annuaire de l’industrie textile

  • le chanvre jaune du meunier du moulin Vieux à Montmartre
  • Le meunier du moulin Vieux de Montmartre possède beaucoup de linge, plusieurs douzaines de draps, plusieurs douzaines de chemises, le tout en chanvre jaune. J’ai découvert le chanvre jaune sur le site de l’usine actuelle de tissage du chanvre dans le sud.
    Donc le meunier est aisé, car il en possède beaucoup. Et le chanvre jaune est manifestement très utilisé à Paris, alors qu’en Anjou on prise le lin. Enfin, c’est une constatation basée sur un seul inventaire à Paris, mais le fait que tout y soit en chanvre semble bien signifier que le chanvre domine à Paris.

    Enfin, je tiens à souligner aussi ici que la chemise est en elle-même un signe social. Si vous le souhaitez je peux vous refaire son histoire en tant que linge de corps, car je me souviens que lorque j’ai découvert il y a quelques années que l’immense majorité de mes ancêtres n’en avait pas, et portaient à même la peau des tissus plus rudes et peu souvent lavés, pour dire jamais… je fus très choquée, tant on oublie tout cela, si ce n’est qu’en résumé notre nez a perdu la mémoire des odeurs puissantes qui constituaient leur quotidien, à commenceer par la leur.
    Odile