Nomination de crieur de patenôtres : Angers 1624

par Amaury de l’Advocat, official du diocèse d’Angers (AD49 série 5E5)

Je pense que l’acte qui suit aide sans doute à mieux percevoir ce curieux métier, donc je le propose d’abord, puis mes tentatives d’explication suivront :

Retranscription de l’acte notarié :
Le 2 août 1624 après midy, par devant nous Nicolas Leconte notaire royal à Angers, Me Amory Deladvocad prestre official d’Angers (juge ecclésiastique du diocèse) et chapelain de la chapelle du Mesnil deppendant de la seigneurie du Gast et auquel chapelain appartient la nomination et provision (en matière éclésiastique, droit de pourvoir) de la charge de crieur de pastenostres de ceste ville d’Angers fondée entiennement (anciennement bien entendu) par les seigneurs du Gast et attribué la provision audit chapelain lequelle a présentement pourveu et pourvoit René Massonneau demeurant en la paroisse Sainct Maurille de ceste ville, lequel a ce présent et stipulant et deuement estably soubmis et obligé a promys et demeure tenu de bien et deument faire et exercer icelle charge de cryeur de patenostre, de ladite charge de crieur de pastenostres vacquant par la mort de feu Nicollas Terré pour y faire la charge comme on a accoustumé et jouir des revenuz et profitz gages et esmolluements accoustumez dont il a requis acte qui luy a esté octroyé par ledit notaire, fait audit Angers maison dudit sieur Deladvocad en présente de Pierre Tesnier et Jan Lebecheux praticiens audit Angers tesmoins, ledit Massonneau a dit ne savoir signer.

Pour tenter de comprendre j’ai consulté beaucoup de dictionnaires anciens, puis Diderot, puis plus modernes, à l’article patenôtre, qui vient bien sur de Pater noster.

Diderot ne voit que l’aspect chapelet et sa fabrication. Cela ne convient donc pas car cela implique un objet : une marchandise et un commerce. On voit mal l’official nommer à un commerce !
le Larousse du moyen Français (époque Renaissance) donne : 1. Oraison dominicale. – 2. Prière dite en d’autres occasions. – 3. la patenostre du singe : grognement, discours inutile (Rabelais). – 4. Grains de chapelet.
le Dictionnaire de L’Académie française, 4th Edition, 1762 donne déjà mieux : patenôtre : On appelle ainsi parmi le peuple, L’Oraison Dominicale, ou le Pater; & on comprend aussi sous le même nom l’Ave, & les autres premières prières qu’on apprend aux enfans. Cet enfant sait sa Patenôtre. – Il se dit aussi populairement pour Toute sorte d’autres prières chrétiennes. Dire ses Patenôtres. Avez-vous achevé vos Patenôtres ? C’est une grande diseuse de Patenôtres. – On dit proverbialement & bassement, quand un homme gronde & murmure entre ses dents, qu’Il dit la Patenôtre de singe. – Patenôtres, au pluriel se prend aussi populairement pour Les grains d’un chapelet, & pour tout le chapelet.
Mais plusieurs dictionnaires font allusion au fait que les prières étaient marmonnées… Et le dictionnaire encyclopédique Larousse donne une définition plus satisfaisante 1. Prières où dominaient les Pater Noster, que récitaient les frères convers dans l’office religieux. – 2. Prières que marmonaient les fidèles illetrés incapables de suivre l’office litturgique célébré à l’époque en latin. – 3. Prières quelconques ou suite de prières plus ou moins intelligibles.

Me souvenant alors que j’ai longtemps suivi la messe en latin, que nos ancêtres devaient la suivre en latin, qu’ils ne savaient pas tous lire, je pense alors qu’ils ne connaissaient pas tous les prières parfaitement, et comme le dit si joliement Rabelais ils grommelaient. J’ai alors cru que ce seigneur du Gast avait créée la charge de crieur de patenôtres, pour réciter dans l’église à haute et intelligible voix les prières.
Mais, selon Mr Bodard de la Jacopière (Chroniques Craonnaises, p. 660) : « l’usage était établi à Craon, d’avoir un crieur de patenôtres, qui, à minuit, devait parcourir les rues et rappeler aux habitants trop endormis, l’obigation de ne pas oublier les pauvres trépassés. A cet office, encore existant en 1616, était attachée une maison en appentis, rue des Juifs, et un jardin à la porte Valaise. Sa nomination était dans les attributions du sénéchal, ce qui doit faire penser que ces fonctions n’étaient pas étrangères à la police de ville. Ces crieurs de nuit succédaient aux veilleurs du moyen âge, chargés la nuit, de crier dans les rues l’heure indiquée par les clepsydres et les sabliers avant l’invention des horloges, c’est à dire avant 1350 ou 1380. »
Donc, à Angers paroisse saint Maurille, c’était un crieur nommé par l’église (pouvoir religieux) alors qu’à Craon il était nommé par le sénéchal (pouvoir civil). Nommé par l’église, ce qu’il criait dans les rues, devait être l’heure des prières ou des offices religieux, dans doute pour les trépassés. Je ne suis pas certaine qu’il se soit limité de crier à minuit car autrefois, on se couchait très tôt et on se levait très tôt, et à minuit l’immense majorité des habitants dormait. A moins qu’il n’ait eu pour charge de penser, de réciter des patenôtres dans les rues pour les trépassés pendant que la population dormait, afin qu’ils ne soient pas oubliés pendant ce temps d’assoupissement général…
Ainsi, Mr Bodard de la Jacopière avait une mention jusqu’en 1616 et mon acte notarié le mentionne en 1624, peu après, mais cette fois à Angers.
Ne me demandez pas de quel Gast il s’agit, car Célestin Port en donne plusieurs. Par contre saint Maurille, à ne pas confondre avec saint Maurice qui est la cathédrale, était une collégiale avec chapitre de 8 chanoines. L’église possédait, entre autres reliques, du sang de Jésus-Christ, des débris de son sépulcre, du lait de la Vierge, des cheveux de sainte Cécile, un doigt de saint Gilles. On y venait invoquer saint Avertin contre les maux de tête et Notre Dame des Serpents contre les mauvaises langues. (Dict. Maine-et-Loire, C. Port). L’église a disparu à la Révolution, pour l’aménagement de la place du Ralliement. Elle était située au haut de la place, vers la rue St Maurille. Le service paroissial, supprimé en 1790, fut transféré aux Cordeliers, avec celui des églises saint Denis et saint Michel du Tertre.

  • Commentaires
  • 1. Le lundi 14 juillet 2008 à 16:09, par Du Périgord

    Dans notre Périgord noir, il existe un lieu-dit qui se nomme Pater Noster …

    Note d’Odile : le collet de Pater Noster à Coursegoules (06), Pater Noster à La Bachellerie (24), Pater Noster à Bonifacio (24), Pater Noster au Pouget (34), et Vallat de Pater Noster à Malaucène (84). Et en Allemagne l’ascenceur non stop qui tire son nom de la chaîne à godets auquel il emprunte son système.

    2. Le mardi 15 juillet 2008 à 12:02, par Du Périgord

    Décidément, vous êtes un puits de connaissance !

    Odile Halbert – Lorsque vous mettez mes travaux sur un autre site ou base de données, vous enrichissez leurs propriétaires en leur donnant toujours plus de valeur marchande dans mon dos

    La fête du Sacre à Angers, avant la Révolution

    Dans les années qui suivirent la seconde guerre mondiale, existait encore à Nantes, des processions de la Fête-Dieu, que j’ai bien connues. Elles ressemblaient à celle-ci, le Suisse en tête.

    la Fête-Dieu à Guérande, collections personnelles, reproduction interdite
    la Fête-Dieu à Guérande, collections personnelles, reproduction interdite

    A Angers, avant la Révolution, cette fête revêtait un caractère unique en France par son faste. Ecoutons C. Port, Dict. du Maine-et-Loire, 1876, nous la décrire :

    Le Sacre d’Angers, festum consecrationis, était presque une fête nationale, tant sa réputation était grande en France, même en Europe, pour sa pompe et sa solemnité. C’est la procession instituée dans toute la chrétienté par le pape Urbain IV en 1261, au jour de la Fête-Dieu, mais que des circonstances inconnues, peut-être le souvenir de l’hérésie inexpiable de Béranger, firent transformer à Angers en cérémonie d’éclat.
    Les étrangers y accouraient du plus loin en foule et, pour une ou deux fois qu’il s’agit d’en modérer l’étalage excessif, la ville se pensa ruinée.
    Le principal spectable se composait des douze fameuses torches en forme de tentes carrées, ornées de colonnes, de festons, de corniches, portant une impériale chargée de vases de fleurs et une infinité de cierges allumés en forme de girandoles, le tout peint, argenté ou doré.
    A l’intérieur étaient représentés des histoires ou scènes historiques, tirées de l’ancien et du nouveau Testament, avec groupes de personnages en cire, de grandeur naturelle, où les artistes choisis, obligés chaque année à varier leur sujet, luttaient pour consacrer et quelque fois acquérir d’une seul coup, dans une exposition si solennelle, une véritable réputation. La rivalité des amours-propres et le zèle pieux des divers métiers s’ingéniaient à multiplier les figures, les ornements.
    On voit seulement six torches figurer au Sacre de 1639, portées chacune par un ou deux hommes. Le dernière fêtes exigeaient douze torches et pour chacune douze et même seize porteurs. (Voir des dessins dans Berthe, Mss 896 f°35 et dans Ballain Mss 867 p. 591)
    Elles appartenaient aux boulangers, aux bateliers, aux cordiers, aux corroyeurs, aus selliers, aux tanneurs, aux cordonniers, aux poissonniers, aux bouchers, mais étaient entretenues par des taxes sur toutes les communautés d’arts et métiers, qui de leur côté, défilaient à la fête, précédées de leur guidon ou de quelque symbole de belle figure.

    le guidon est une enseigne, ou drapeau – aussi celui qui le porte

    Le cabinet de M. Mordret possède encore les guidons des cardeurs et des tourneurs (XVIIe siècle) et le Saint-Pierre porté en 1635 par les serruriers.
    « Nos spirituels », – « la petite église », comme dit Thorode, avaient vainement demandé la suppression de ces étalages, et la ville, en 1747, eut à soutenir une véritable lutte contre l’évêque pour maintenir les traditions antiques.

    Dès cinq heures et demie du matin sonnait à Saint-Maurice le départ des grosses torches, espacées les unes des autres d’une demi quart d’heure de marche. Suivaient, à distance, dans un ordre invariable réglé par la Prévôté, tous les corps de métiers, tous les fonctionnaires ou personnes en charge, deux à deux, le chapeau à la main avec un cierge formé d’un bâton de bois blanc, long de neuf pieds, cannelé à mi-hauteur et recouvert de cire blanche.
    En tête, le crieur de patenôtres avec une torche jaune, munie d’une clochette.
    voici notre ami le crieur de patenôtre à l’oeuvre. Je l’ai mis en mot-clef (tag) et en cliquant sur le tag vous avez mes autres articles sur ce personnage.
    En dernier lieu le clergé régulier et séculier, dirigé par la chante de Saint-Maurice ; puis sur un brancard orné de riches tapis en broderie, le Saint-Sacrement porté par le doyen et l’évêque ; puis le gouverneur et ses gardes, le prévôt et ses archers, et la foule.
    Jusqu’au milieu du XVIIe siècle la procession traversait le choeur de l’église ru Ronceray, les grosses torches seules restant alignées en rang devant la porte de l’abbaye. Sur le tertre Saint-Laurent le Saint-Sacrement était exposé dans la chapelle aux regards des fidèles, en face de la chaire du cimetière d’où un prédicateur parlait au peuple, pendant que le clergé et les officiers des différents corps se dispersaient chez des amis ou collationnaient chez quelque hôte.
    On se réunissait, non sans quelque désordre, pour traverser de nouveau toute la ville et regagner la cathédrale où l’évêque officiait pontificalement.
    Pendant huit jours se succédaient les processions particulières des divers paroisses ou communautés religieuses, et dans les maisons de la ville les joyeuses assemblées.
    « Durant les octaves du Sacre, dit Bruno de Tartifume, Mss. 870, p. 345, il n’y a à Angers que réjouissances, bonnes chères, promenades, accueils et démonstrations de bonne volonté, faîte à ceux qu’on appelle Cousins du Sacre. »
    Le dernier Sacre dans la forma antique fut célébré en 1591. Renouvelée sous la Restauration, la fête, absolument déchue de sa grandeur naïve, n’est plus qu’une cérémonie religieuse, dont l’éclat profite ou souffre des courants incertains de la ferveur publique.
    Demain, je vous livre le nom d’un porteur de torche en 1591, qui est chargé par sa corporation de cette mission, par acte notarié. J’espère que vous en descendez tous car c’est un acte rarissime que voir son ancêtre portant la torche… surtout que le notaire en question qui est Lepelletier est totalement hermétique tant il écrit mal…

    Ci-dessous les photos de l’enfance de Marie (voir ci-dessous son commentaire) :