Déshérence : la succession de Marie, bâtarde, Angers, 1624

  • La déshérence dans la législation française actuelle (Code Civil en vigueur en 2008)
  • La déshérence est la situation dans laquelle se trouve un bien ou un patrimoine lorsque son propriétaire est décédé sans laisser d’héritier connu ou, ce qui revient au même si tous les héritiers connus y ont renoncé. L’article 768 du Code civil prévoit que l’État recueille alors les biens laissés par le défunt. La déshérence de la succession prend fin en cas d’acceptation de la succession par un héritier. (Code civil, art. 811 et s. ; Loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.)

    Article 811 : Lorsque après l’expiration des délais pour faire inventaire et pour délibérer, il ne se présente personne qui réclame une succession, qu’il n’y a pas d’héritiers connus ou que les héritiers connus y ont renoncé, cette succession est réputée vacante.

    Depuis la fin du 19e siècle, ce sont les généalogistes professionnels qui recherchent d’éventuels héritiers dans les successions vacantes. Le délais expiré, l’état est héritier.

  • Avant les généalogistes professionnels.
  • C’était à qui sera informé ou pas, et la plus joyeuse pagaille, entraînant même des délis d’initiés pour détourner des successions. Je vous ferai bientôt un long billet sur ce dernier point avec un exemple.

  • En Anjou avant la Révolution
  • L’Anjou est l’une des rares provinces de France à avoir pratiqué la déshérence lors de la succession des bâtards décédés sans postérité : le seigneur du fief dont il relevait héritait de ses biens.
    A Paris, la coutume avait été réformée en 1580 pour abolir ce droit, issu du Moyen-âge, généralement considéré comme inique : par cette réforme, les parents de l’autre ligne pouvaient recevoir les biens par préférence au fisc.
    L’exemple qui va suivre illustre la différence entre le droit Angevin et le droit Parisien en 1624. Ici, à Angers, une femme mariée, née bâtarde, décède sans hoirs. Ni son veuf, ni après lui les collatéraux dans la lignée de son veuf n’héritent d’elle.
    L’exemple est encore plus marquant, car le seigneur de fief est l’abbaye du Ronceray, et c’est donc la dame abbesse du Ronceray qui hérite.

  • L’acte notarié qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E5
  • Voici la retranscription de l’acte : Le mardy dernier jour de décembre 1624 avant midy, par davant nous Jehan Poullain notaire royal à Angers fut présente noble et révérente dame Simone de Maillé, abbesse du moustier de l’abbaye du Ronceray d’Angers, laquelle deuement establye et soubzmise soubz ladite court a confessé avoir ce jourd’huy ceddé et transporté et par ces présentes cèdde et transporte
    à Me Michel Gontard sieur de la Brossardière à ce présent et stipulant et acceptant
    tous et chascuns les droitz escheuz et advenuz à ladite dame abbesse par la mort et trépas de Marye bastarde et illégitime vivante femme de feu Pierre Viguer, lesquelz droitz luy sont escheuz et adveneuz à cause de son fief et seigneurie dépendant de ladite abbaye du Ronceray en ce qu’il y en peut avoir par deshérance en quoy elle est fondée à cause de sadite seigneurie à succèder aux biens des bastardz estant en sondit fief et seigneurie suivant et au désir de la coustume de ceste province d’Anjou, et par conséquent aux biens de ladite déffunte Marie bastarde vivante femme dudit Viguer en sondit fief
    consistant lesdits droits en la moitié d’une maison size en ceste ville paroisse de la Trinité ou pend pour enseigne l’Ange et où de présent demeure Nicolas Delantil Me vinaigrier en ceste ville, laquelle moitié de maison ainsi eschue et advenue à ladite dame abbesse à cause de sondit fief et seigneurie du Ronceray, elle a ceddez comme dict est pour desdits droits jouir et disposer par ledit Gontard ses hoirs en pleine propriété comme eust fait et pourroit faire ladite dame, mesmes de tous aultres droictz et profictz qui luy pourraoient appartenir pour raison de ladite deshérance escheue soit meubles et immeubles de quelque nature et qualité qu’ils soient ou peussent être sans aulcune réservation, en tous lesquelz droitz ladite dame abbesse a subrogé et subroge ledit Gontard en sonlieu et place droictz et actions qu’il pourra poursuivre à ses despens périlz et fortunes sans aucun garantage de la part de ladite dame abbesse fors de son faict et promesse, et a esté faite la présente cession et transport pour et moyennant la somme de 850 livres qui a esté payée comptant par ledit Gontard à ladite dame abbesse en pièces de 16 solz et aultre monnoye ayant cours suyvant l’édit laquelle a été prinse et receue par ladite dame en présence et veue de nous dont elle s’est contentée et en a quitté et quitté ledit Gontard ses hoirs et oultre à la charge dudit Gontard d’acquitter ladite dame de toutes les demandes et charges en quoy elle pourroit estre tenue à raison desdits droitz et l’en acquitte vers et contre tous à peine de toutes pertes despens dommages et intérestz, à laquelle cession transport, quittance et tous ce que dit est tenir et entretenir de point en point et lesdites choses ainsy vendues et transportées garantir et oblige ladite dame tous ses biens meubles et immeubles mesmes le temporel de sadite abbaye du Ronceray renonçant etc foy jugement condamnation etc fait et passé en ladite abbaye au parlouer d’icelle, présents à ce honorable homme Me François Brecheu Sr de la Prodhommerie advocat au siège présidial d’Angers et advocat et conseil de ladite dame, François Michau Sr de la Guererie aussy advocat audit siège et recepveur da ladite abbaye, René Hubert et Pierre Loizeau praticiens demeurant audit Angers.

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    Droit de prendre 2 deniers à chaque femme jolie, et droit de mener la mariée Un curieux droit seigneurial à Somloire, Maine-et-Loire, interdit en 1600

    Ce billet et ce site sont lus par plusieurs auteurs, avides d’idées pour leurs romans. Aujourd’hui ce billet vous montre qu’autrefois la réalité a parfois dépassé la fiction. Voici, extrait du Dictionnaire du Maine et Loire, Célestin Port, 1876 :

    Somloire, commune du canton de Vihiers. La terre formait un fief important, titré au 17e siècle de châtellenie et relevant de Maulévrier. Entre autres privilères singuliers, le seigneur jouissait du droit de faire prendre par son sergent, de chaque « femme jolie » ou de mœurs légères, passant sur sa chaussée, deux deniers ou de couper la manche du bras droit ou de dispose d’elle une fois à son choix. Un arrêt du Présidial d’Angers du 4 mars 1600 supprima cette pratique malhonnête, et fut confirmé par un second arrêt du Parlement du 3 mars 1601, qui maintint en même temps, malgré l’arrêt antérieur du présidial, son autre droit, qui lui était contesté, d’assister, représenté par son sergent, avec deux chiens, à toutes les noces de ses vassaux. La terre formait un fief important, titré au 17e siècle de châtellenie et relevant de Maulévrier. En est sieur Jean de Ver, chevalier, mari de Marguerite de Savonnières, 1311 ; – Lucette Pelaud, 1409, 1420, Jean Barillon 1458, Marie de la Musse, sa veuve, 1481, Joachim Barillon, 1566, Charlotte du Bois, sa veuve, 1600, 1608. – François Barillon, 1652, – Urbain de Maliverné, 1661, 1666. – Charles Barillon 1680, qui cède la domaine par échange en 1696 à Thomas Dreux, marquis de Brezé… (C. Port, Dict. Maine et Loire, 1876)

    la Guimoire, commune de Somloire : Ancienne maison noble avec tourelles, qui donnait son nom jusqu’au 16e siècle à une famille fondue par alliance dans la famille de Ragot, qui la possédait encore au 18e siècle. – en 1792 à Jaques-Pierre Chaillou, juge de paix à Angers, mari de Marie-Jeanne Papin, qui vend le domaine le 11 septembre. Elle relevait de la terre de Somloire, et à l’occasion du mariage du fermier Michel Brémont, la dame suzeraine prétendit exercer le droit qu’elle avait sur tous ses sujets de faire assister à la noce son sergent. Il devait, à son dire, être convié 8 jours à l’avance, avoir sa place à table devant la mariée, dîner comme elle, ayant à ses côtés deux chiens couchants et un levrier, avec leur part du repas, et ensuite mener la mariée et dire la première chanson. Le tenancier Gabriel Ragot, sieur de la Faie, mari de Renée de la Guinemoire, prit le fait de son fermier et renia le devoir comme intolérable et malhonnête. Une sentence du Présidial lui donna raison le 4 mar 1600 : mais sur l’appel de la dame de Somloire le droit de la suzeraine fut confirmé par un arrêt du Parlement du 16 mai 1601, inscrit au rang des Arrêts célèbres. Voir Pocquet de Livonnière, Coutume d’Anjou, t II, p. 1219 (C. Port, Dict. Maine et Loire, 1876)

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    Droit de bâtardise, avant et après la Révolution

    En droit féodal, la succession des enfants naturels, décédés sans héritiers, est recueillie

    par le seigneur haut justicier, qui est souvent le roi. C’est le droit de « bâtardise ». (Diderot, Encyclopédie – Lucien Bély, Dictionnaire de l’Ancien Régime, PUF, 1996)
    Après la révolution « à défaut de conjoint survivant, la succession est acquise à la république » (Article 768, Code civil des français (en ligne en mode texte marqué T sur Gallica).

    Donc, rien de changé : on a supprimé les seigneurs hauts justiciers, et remplacé le roi par la république.

    En 1878, « si l’enfant naturel n’a rien reçu de son père et qu’il ne laisse ni descendants ni frères ni sœurs naturels, le conjoint survivant, à son défaut l’Etat, sont préférés aux frères et sœurs légitimes » (Allard, J.-L. Des enfants naturels : reconnaissances, adoptions, successions…, 1878, sur Gallica)

    Depuis, il n’existe que des enfants reconnus, ou pas. Un enfant reconnu, n’est pas toujours alimenté par le père, qui réapparaît parfois en fin de vie, se souvenant brusquement de l’existence d’un enfant pour réclamer un droit alimentaire, quand ce n’est pas tout bonnement l’administration qui exerce ce droit. J’ai eu connaissance de tels faits au 20e siècle… Je ne suis pas certaine qu’ils aient disparu.

    Ce soir sur la 3 à 20h50 l’émission télévisée « Jeunes, seules, sans travail et déjà mères. » Il n’est pas certain que nous soyons allé vers un progrès dans tous les cas.

    Revenons aux bâtards d’autrefois.
    Il était BCBG (bon chic bon genre) dans la noblesse d’avoir une maîtresse et des bâtards, et ceci fut parfois imité dans la haute bourgeoisie. En 1598, Henri IV est reçu en grande pompe par la ville de Nantes, lors du fameux Edit. Or, il est accompagné de la belle Gabrielle qui vient de mettre au monde à Angers leur fils immédiatement marié par Ct Dvt Guillot Nre à Angers par son père, et largement doté. Le corps de ville de Nantes accueille sans sourciller le couple et offre même à Gabrielle des présents dignent de son rang. La reine est à l’ombre, ailleurs…et surtout pas de la partie.

    Enfin, autrefois y avait 3 types de bâtards :

  • ceux qui furent dotés (correctement) par leur père naturel, le plus souvent issu d’un milieu aisé. Les dotations (quand elles existent) sont dans les actes notariés, aussi en série 1B
  • ceux qui ne le furent pas, et connurent une vie dure. Souvent c’était le maître qui avait engrossé une servante. Et par maître, comprenez aussi bien le métayer ou le closier, car ils avaient eux aussi servante, surtout les métayers plus aisés. Cela n’est pas réservé aux notables.
  • et enfin, ne les oublions pas, ceux issus d’une mère d’un milieu aisé, mais ce qui était toléré chez les hommes ne l’était pas chez les femmes…
  • On ne peut donc faire aucune généralisation sur le terme bâtard, mais je veux ici rendre hommage à tous ceux qui furent en catégories 2 et 3, et connurent souvent le pire. Je souhaite cantonner ce blog aux petits, pas aux grands que l’Histoire a beaucoup gratifiés de mémoire.

    Mais au fait, avez-vous trouvé quel acte notarié était le premier dans la vie ? Pour le savoir demain, voici un indice. Ce contrat existe toujours, mais n’est plus chez le notaire. Il est fréquent en Allemagne (entre autres) beaucoup moins en France.

    Enfin, j’ai étudié toute l’histoire d’un bâtard de la catégorie 1, décédé sans héritiers (voir le début de ce billet) et la suite est piquante… Voulez-vous un jour cette histoire vraie… ?

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