Armistice du 11 novembre 1918 : carnet de guerre d’Edouard Guillouard

Je republie ici un billet traitant du 11 novembre déjà paru ici.

Amis fidèles de ce blog, aujourd’hui je vous emmène dans ma famille, ce que je fais rarement, avouez-le. Je le fais au nom de toutes les victimes des guerres !

Ma famille a le bonheur d’avoir des matériaux sur la guerre 14-18 grâce à mon grand’père qui a fait les 4 années dans les tranchées. Son carnet de guerre, et ses très nombreuses photos, sont sur mon site.

Je conserve un très grand souvenir de la frappe de ce document, car, malgré tout ce qu’on avait dit, les détails les plus sordides m’avaient échappé :

    1. 1er sac de couchage

 

    1. 1er cape

 

    1ères bottes etc…

ces dates étaient tellement irréelles : elles attestent qu’ils sont restés des mois dans la boue et le froid avant qu’on ne fabrique tout cela ! Chaque fois que je tappais une telle information, je devais arrêter mon travail, pour aller me réconforter moi-même, tellement j’était ahurie !

Comme beaucoup de ces hommes, mon grand’père était père de 3 enfants, enfin, la 3e née en novembre 1914, ainsi signalée dans son carnet de guerre :
25.11 mercredi – J’apprends la naissance de Thérèse
Il s’agit de ma mère qui n’a connu son père qu’à 4 ans. Elle avait alors éprouvé quelques difficultés à identifier ce papa sorti de nulle part pour elle, un étranger. Il sut se faire aimer rapidement.

Nantes, 1914, Aimée Audineau et ses 3 enfants
Nantes, 1914, Aimée Audineau et ses 3 enfants

Les enfants pendant la guerre jouent à la guerre, probablement comme tous les enfants du monde. Ici, on voit aussi le fusil, le képi, et un cheval, comme papa :

Edouard Guillouard, 1916
Edouard Guillouard, 1916

en 14-18 l’armée est à cheval.


Deux ans plus tard, les enfants ont même le costume : la petite fille en infirmière !

A la fin de ces 4 années, Edouard, alors en Alsace, reviendra avec ce souvenir :

Babette, 1918 - Poupée plate, de bois, en trop bon état en 2008 pour avoir été autre chose qu'un bibelot du souvenir ! souvenir fort !
Babette, 1918 – Poupée plate, de bois, en trop bon état en 2008 pour avoir été autre chose qu’un bibelot du souvenir ! souvenir fort !

Les femmes, quant à elles, prient, lavent, s’occupent des enfants, et prennent le chemin des usines. Le journal de la belle-mère d’Edouard commence par

à la grâce de Dieu !
que nos chers disparus nous obtiennent force et résignation à accepter vaillamment ce qui arrive !

Oui, on prie, et on visite les cimetières, quasiement chaque jour. C’est à l’église que chaque dimanche (la radio n’existait pas encore !) du haut de la chaire, résonne sans cesse le nom des « Morts pour la France », dont le plus souvent la famille n’aura aucun corps à pleurer. Après de vaines recherches, seulement un plaque commémorative, pour se recueillir.

Mères, épouses, enfants, sont en proie aux questions : où, comment est-il mort ? Cloches et canons ponctuent lugubrement l’existence des vivants.

    1. Tout au long des routes sacrées,

 

    1. Où défilent des régiments,

 

    1. Douloureusement alignée,

 

    1. Dorment les tombes des vaillants !

Parfois un nom, souvent un casque,
Une couronne, ou quelques fleurs ;
Puis, sur le tout une fantasque
Croix d’une imprécise couleur,

Faite de pauvres bouts de planches,
Car partout il pousse des croix,
Et tel qui riait des dimanches,
En se battant de nouveau croit.

Poème de J. Bradane de Virard, paru dans le Courrier de Saint-Nazaire, le 14 août 1916.

Parfois un courrier, et quel courrier ! Celui-ci a bouleversé ma famille depuis 90 ans. Il est de la main de mon grand’père, au front, père de 3 enfants, à son frère son frère Adrien, inventeur, qui possède une usine à Nantes, et fabrique pour l’armée. Adrien n’a pas d’enfants, et est à l’arrière, tandis qu’Edouard qui en a 3 est au frond. La lettre témoigne d’une telle grandeur d’âme ! et pas une plainte !

Noël 1914 : lettre à Adrien,
Mon cher Adrien ma chère Gabrielle
Merci de votre postal que je reçois juste à temps pour joindre à ceux de mes camarades. Nous sommes gâtés, je n’avais jamais contenté autant de friandises.
Hier soir nous avons fait un vrai réveillon, et je n’ose pas vous en envoyer le menu. Si à la guerre il y a de fort mauvais moments, il faut bien se distraire un peu, malgré que nous ayons bien souvent lieu de nous faire du chagrin.
Hier il ne manquait rien pour se distraire car après le réveillon, nous avons assisté à une messe de minuit peu banale. Dans un ravin de chemin de fer à 12 m des boches, un abris de paille recouvre un autel, quelques branches de houx et 6 bougies dans de simples chandeliers. Un lieutenant d’artillerie, prêtre, dit la messe servie par deux soldats d’artillerie. Cette cérémonie est magnifique dans sa simplicité et son pittoresque. A un moment une forte voix chante un minuit chrétien dans cette obscurité, c’est émouvant et je conserverai longtemps le souvenir de cette nuit de Noël.
Que devenez-vous ? Louis m’écrit que vous êtes très peiné.
J’espère que Adrien obtiendra un nouveau sursis, et ne viendra pas voir les tranchées qui n’ont rien d’intéressant tant que les boches seront en France, mais qui m’ont encore appris la guerre. Je crois qu’Adrien, inventerait quelque chose de nouveau s’il y venait, mais, je me contente de faire des abris et installer des poëles, que nous n’allumons que la nuit pour ne pas être repérés.
J’en ai assez de cette vie de guerrier et nous ne voyons pas la fin venir, nous n’avons pas grande occupation, mais nous ne pouvons nous absenter de notre poste et malgré que nous n’ayons pas eu d’attaques heureusement, mais nous devons toujours être prêts à prendre les armes, et le plus dangereux et le moins agréable, c’est que jour et nuit nous avons toujours l’artillerie allemande qui, répondant à la notre, envoit des srapmells au petit bonheur. Gare à ceux qui les reçoivent et malgré qu’il y ai plus de trois mois qui nous en voyons éclater près de nous, on ne s’y habitue pas. C’est comme les balles, c’est toujours désagréable de les entendre siffler aux oreilles, surtout quant je suis aux tranchées de première ligne, dans ma compagnie. Nous n’avons pas eu trop de mal surtout depuis le 4 octobre, pas de mort pas de blessés sur les 250 hommes, espérons que la compagne se termine ainsi.
Je vous ai écrit voilà un mois une longue lettre, et je n’ai pas eu de réponse. Veuillez m’écrire longuement, vous me ferez plaisir. Et, si votre générosité vous le permet, vous pouvez m’adresser un autre postal. Je vais même vous en fixer le contenu (pour vous guider simplement). : un gâteau Lefèvre-Utile, quelques friandises, cigares et jambon ou un beau pâté de foie gras (pas autre chose).
Car je crois nos mauvais jours passés, et les camarades avec qui je me trouve aiment bien les bonnes choses. La plupart sont des messieurs de situation au dessus de la mienne, mais ce qui n’empêche pas que nous sommes tous très liés et de véritables amis, avec qui j’ai tout de même eu des jours de misère, que nous compensons quand nous le pouvons.
En attendant le jour heureux où il me sera possible de retourner vers Nantes, ce jour ne sera pas aussi agréable que nous l’aurions souhaité au départ, car notre pauvre Joseph manquera parmis nous. Sa disparition me fait beaucoup de peine. C’était un bien bon garçon, et un excellent frère, il n’a pas eu de veine, espérons qu’il ne m’en arrive pas autant, car il ne faut qu’un coup et comme je vous l’écris nous sommes souvent arrosés par la mitraille.
Je termine ma lettre en vous offrant mes bons vœux de bonne année, je vous encourage sérieusement à faire votre devoir de bons français en travaillant au repeuplement et je souhaite de bonnes affaires à Adrien, mais avec des sursis.
A vous lire, votre frère et beau-frère qui vous embrasse affectueusement, Edouard

Cette lettre, en ligne sur mon site depuis plusieurs années, a retenu l’attention d’un chercheur ! Et moi, je suis fière de ce grand’père et de cette magistrale grandeur d’âme !

A la mémoire de tous ceux qui ont eu à travers toutes les guerres une telle grandeur d’âme !
Voir le carnet de guerre d’Edouard Guillouard, illustré de nombreuses photos.

Hier, 10 novembre 2008, le groupe de travail présidé par l’historien André Kaspi concluait : « Les commémorations publiques et nationales sont trop nombreuses. » Et il préconisait de ne garder que trois dates au titre des célébrations nationales : « Le 11 Novembre pour commémorer les morts du passé et du présent, le 8 Mai pour rappeler la victoire sur le nazisme et la barbarie, le 14 Juillet qui exalte les valeurs de la Révolution française. »

La ferme de Rombois (Meslières, Doubs) pendant la guerre de 14-18

J’ai sur mon site le carnet de guerre d’Edouard Guillouard, mon grand’père, pendant les 4 années de la guerre 14-18. Il est illustré de toutes les photos qu’il possédait.
Parmi ces photos, celle-ci en particulier montrait une famille qui l’a hébergée, et j’espérais qu’un jour elle serait identifiée.

  • C’est chose faite. Hier les descendants ont pris contact :
  • Voici d’abors la photo et l’extrait du carnet de guerre dans le Doubls en 1916 :

      13.3.1916 lundi Départ, tout le monde regrette et plusieurs poilus manquent le rassemblement, nous partons par Herimoncourt, puis Meslières, mais comme trop souvent la 3e est mal installé à la ferme aux chiens ou plutôt à Rombois, les gens sont aimables, je loge dans une grande ferme ou les jeunes filles sont même distinguées, nous faisons popote chez Varanchon, il y a également des jeunes filles bien aimables, au règlement de popote Trémulot soulève un incident
  • Voici ce que m’écrit Corine Hoff le 6 janvier 2008 :
  • Je suis tombée sur votre site totalement par hasard … en cherchant un code postal ! En montrant l’article que j’y ai trouvé, ma grand-mere a reconnu une photo de sa famille … je ne vous dis que ça de sa surprise et de sa joie !

    Du coup, je suis retournée sur votre site aujourd’hui en me disant que je trouverai peut-être autre chose. J’ai malheureusement découvert que votre site était vampirisé et que vous ne me répondriez pas. Je veux pourtant vous laisser un petit message d’encouragement. Sachez que je suis totalement solidaire avec vous. J’admire l’immense travail que vous avez fait (je voudrais me mettre à la généalogie de ma famille mais je n’y travaille pas régulièrement faute de temps).

    Je peux vous dire que la dame au milieu est la grand- mere de ma grand-mere. Elle s’appelait Amélie Voireuchon (et non pas Varanchon comme dans le carnet de guerre du soldat). A coté d’elle sont deux de ses filles Irène à sa droite et Jeanne à sa gauche. La photo a été prise à la ferme de Rombois (Doubs). Les hommes derrière le banc sont des soldats.
    En retour, pouvez-vous me dire d’où vient cette photo afin que je contacte le photographe (ou plutot ses heritiers…). Il existe peut-être d’autres photos du passage des soldats dans cette ferme …

  • Ma réponse à Corinne :
  • Merci d’avoir pris contact.
    Je me réjouis infiniement que votre grand’mère ait pu identifier sa famille, et je me réjouis qu’elle puisse avoir désormais cette photo. Le soldat, debout derrière à droite, est mon grand’père.
    Hélas, je suis seule dépositaire du fonds photo, et il n’en existe aucune autre. Je vais seulement vous la rescanner avec plus de pixels et vous l’adresser, mais ce sont de toutes petites photos, à peine plus grandes qu’un timbre poste.
    De votre côté, pourriez vous me préciser ce que vous savez de Rombois et de cette période, et ce qu’en sait votre famille. Merci de demander à tous ceux qui connaissent ces faits de laisser un commentaire ci-dessous.

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    1914-1918 au 84e R.I.T. carnet de guerre d’Edouard Guillouard, photos Leglaive

    Mon grand père maternel, au front du début à la fin, avait 3 enfants en 1914 ! Ce billet est écrit à la mémoire de tous ces enfants… car cela m’a beaucoup frappée…

    J’ai mis il y a quelques années sur mon site le carnet de guerre 1914-1918 au 84e R.I.T. d’Edouard Guillouard, photos Leglaive. D’une rigueur et précision toute militaire, il m’avait fallu 2 mois pour le tapper et le mettre en pages, d’autant que je n’avais pas de légendes au photos (en vrac dans une enveloppe) et que beaucoup sont encore non identifiées.
    J’avais alors découvert cette guerre comme on ne nous la décrit pas souvent :
    Ils étaient parti pour quelques jours, alors la France n’a pas mis en route la fabrication massive de bottes, capes huilées, casques, etc… et c’est tardivement après des mois dans la boue, la pluie et le froid que ces équipements indispensables leur parviendront…
    Mon grand père circule souvent à cheval, mais prend le train pour les rares permissions, puis apprend la lutte anti-aérienne car l’avion a fait son apparition.
    Un nombre incalculable de nouveautés techniques voient le jour au fil du temps…

  • J 256 (8 mois 12 jours) arrivée des périscopes pour voir de la tranchée, sans être vu et surtout sans s’exposer
  • J 414 (1 an 1 mois 28 jours) : arrivée des casques
  • J 595 (1 an 7 mois 16 jours) : distribution de montres et de pipes
  • J 818 (2 ans 2 mois 26 jours) : arrivée des capes huilées
  • J 1002 (soit 2 ans 8 mois 28 jours) arrivée des masques à gaz
  • J 1126 : Edouard n’a encore jamais parlé de peur, malgré tout ce qui tombe autour de lui, mais manifeste soudain une « grande appréhension ». Il est envoyé suivre les cours de commandant, se doute bien qu’il aura du mal à suivre, faute d’études suffisantes, et craint de décevoir les supérieurs, qui l’ont nommé. Belle grandeur d’âme de ces hommes, que la peur de ne pas être à la hauteur de la mission qui leur est confiée ! Il apprend même la lutte anti-aérienne.
  • J 1378 (3 ans 9 mois 8 jours) : distribution de cigares

  • Voici le cheval, car ce fut sans doute, du moins en Europe, la dernière fois qu’il combattait lui aussi.
    Outre le carnet de guerre, j’ai le cahier d »Aimée Guillot, sa belle-mère, édifiant : Il commence ainsi :
    à la grâce de Dieu ! que nos chers disparus nous obtiennent force et résignation à accepter vaillamment ce qui arrive !

    Suivent un nombre considérable de prières, messes, lessive, jardin, raccomodage, visites aux tombes, etc… ponctuées de mauvaises nouvelles….

    Mais, ce qui m’a le plus frappée lorsque j’ai fait ces pages, c’est qu’Edouard Guillouard avait 3 enfants en partant en 1914.

    En réalité, en partant au août 1914, mon grand père laissait 2 enfants et une épouse enceinte de plus de 5 mois. C’est ma maman qui est née à l’automne 1914, alors que son papa était au front. Elle disait souvent qu’elle ne l’avait connu qu’à 4 ans, et elle avait auparavant un vague souvenir d’une apparition d’un militaire qui lui avait fait peur car elle ne réalisait pas que c’était un papa. Sans doute ce jour de la photo…
    Alors aujourd’hui, je pense à tous ces enfants, privés de papa pendant 4 ans, et encore plus à ceux qui ne l’ont pas vu revenir… car mon grand père eut la chance d’en revenir.
    Mais lorqu’il revint, sa boutique n’était pas en forme : c’est sans doute une chose dont on parle peu, quand on évoque les 4 années 14-48. Il avait un boutique de gros, livrant de Nantes à travers la Bretagne, de la quincaillerie. Les clients, eux aussi au front ou disparus, ne payaient pas ou mal, et les affaires avaient périclité, menées tant bien que mal par son père, alors très âgé. Ainsi, ceux qui étaient partis et en sont revenus, n’avaient pas fait fortune, c’est le moins qu’on puisse dire… et cela aussi il faut le souligner.

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