Mouchoirs à usage de femme : la petite histoire de l’inégalité sociale et de l’inégalité homme-femme.

Comme ceux qui me connaissent depuis longtemps le savent bien, j’adore faire des inventaires après décès tout autant que des contrats de mariage. Les mouchoirs sont rarement cités dans les actes du 16ème et du 17ème qui m’ont passionnée. Et, en Anjou tout au moins, leur présence ne se manifeste que dans les inventaires après décès, et chez les gens plutôt à l’aise, jamais chez les exploitants agricoles. Et, toujours en Anjou, on n’a jamais le détail du trousseau dans les contrats de mariage.

Mais en Normandie, on a parfois les détails. Et ces détails sont  quelquefois surprenants, en ce cens que le contrat de mariage qui suit ne semble pas de gens aisés, à en croire la très petite somme en argent, mais il y aura dans le trousseau « 6 mouchoirs à l’usage de ladite fille ».

« Le 16 janvier 1687[1], au traité de mariage qui au plaisir de Dieu sera fait et parfait en face de nostre mère saincte église catholique apostolique et romaine entre Julien Crosnier (m) fils de defunt Guillaume Crosnier et Marguerite Guillochin ses père et mère de la paroisse du Grais d’une part, et Anne Guillochin (m) fille de Michel Guillochin et Jeanne Roussel ses père et mère de la paroisse de La Ferté Macé d’autre part, ont esté fait les conventions qui ensuivent, c’est à scavoir que les Julien Crosnier et Anne Guillochin se sont promis s’épouser l’un l’autre à la première semonce qui en sera faite après les services de nostre mère ste église deument observées ; en faveur duquel mariage ledit Michel Guillochin père de ladite fille a promis et s’est obligé payer auxdits futurs la somme de 60 livres paiable scavoir 10 livres à Pasques prochain et les autres payables à Pasques ensuivant et ainsi d’an en an jusques à fin de payement et la somme de 6 liuvres pour l’habit, 6 draps de toile, 6 serviettes, 6 coiffes, 6 mouchoirs à l’usage de ladite fille, 4 escuelles et 4 assiettes, le tout d’étain, un coffre de bois de fouteau fermant à clef, et un traversier de plume d’oie, er ceque ladite fille peut avoir par devers elle qu’elle auroit gagné dans ses services ; ledit futur s’oblige remplacer la somme de 30 livres sur le plus apparaissant de son bien ; lesdites parties sont demeurées d’accord les uns envers les autres et se sont obligés à tout ce que dessus ; fait en présence de Claude Crosnier (s) frère dudit futur, Jacques Piquet son beau frère et Michel Guillochin (m) père de ladite fille, Jean Laisné et Jean Huet et François Bisson et François Lebally tous parents et amis tant du costé dudit futur que de ladite fille »

[1] AD61-4E174/30 tabellionnage de Briouze

Donc, on connaissait le mouchoir pour femme au 17ème siècle en Normandie. Ce qui signifie aussi qu’il existait alors des mouchoirs pour homme. Et monsieur n’avait sans doute pas le droit de se moucher dans les mouchoirs de madame ? La distinction entre mouchoirs de femme et mouchoirs d’homme existe toujours de manière plus que sexiste, et tout à fait inégalitaire entre hommes et femmes. Il est impossible (ou tout au moins je n’ai jamais pu trouver) de mouchoir de femme aussi grand qu’un mouchoir d’homme et inversement, les mouchoirs d’homme sont toujours beaucoup plus grands que les mouchoirs de femme. Je n’ai jamais compris pourquoi les femmes avaient le nez plus petit et moins encombré que le nez des hommes !!!! Et Mesdames nous subissons aussi cela ! Je dis « aussi » car à en croire les médias modernes, nous subissons beaucoup de choses, mais je ne les ai jamais entendu parler de la discrimination flagrante qui existe entre le nez d’une femme et celui d’un homme pour le mouchoir !!!

 

Contrat de mariage de François Guillouard et Marie Bernier, La Sauvagère 1750

Ce sont mes ascendants, et vous les avez en page 34 de mon étude Guillouard de l’Orne.
Ils ne sont pas aisés, et n’ont qu’un demi coffre. Les familles aisées avaient plus d’un grand coffre et demi coffre, et je vous avais parlé de cette remarquable appellation du petit coffre : le demi coffre, en fait un coffre plus petit que le coffre.

Le reste des meubles est aussi très réduit, en particulier, j’observe l’absence de meubles vifs, ce qui conffirme ce que j’avais découvert par ailleurs, le métier de journalier qui n’a pas de terre propre et s’embauche aussi comme colporteur au loin en saisons.
La vaiselle et le trousseau n’atteint aucune douzaine, et surtout on se passe de nappes et de serviettes ce qui est encore plus frappant, tout comme de pinte et chopine.
Je pense que comme on ne se passait pas de boire cependant, on utilisait des objets d’occasion, ce qui était le plus souvent le cas dans les familles modestes, même pour le poêlon.

L’absence de richesse n’empêche pas les précisions pour le propre de la future, dont le papa vit encore, et c’est heureux pour elle, car je vous ai aussi expliqué que lorsqu’il est décédé ce sont les frères qui ont hérité et qui décident de ce qui sera attribué à leurs soeurs le jour de leur éventuel contrat de mariage, mais qu’ils paieront ou plutôt tarderont à payer longtemps parfois.

    Voir ma page sur La Sauvagère

Enfin, j’attire votre attention sur une très grande particularité des archives notariales de l’Orne : elles ne sont pas en liasses mais reliées, en registres assez volumineux. Mais la double page des actes était ouverte avant reliure, de sorte qu’on a dans ces gros registres un ensemble de feuillets commençant par les rectos-versos de la première page des actes, et on doit chercher en fin du feuillet ce qui sera la fin de l’acte, qui est sur le reste de la double page reliée à droite. Il est le plus souvent très difficile de chercher cette suite, sur les registres eux-mêmes en salle de lecture, on pouvait regarder la tranche pour voir l’épaisseur du feuillet et où il se terminait, ce qui n’est plus possible maintenant qu’ils sont en ligne. Il faut bien se répérer aux termes qui vont se suivre, à l’écriture, et aux témoins, pour bien identifier que telle fin d’acte est bien la bonne. Et vous voyez donc dans la cote que je vous mets et que je reporte dans mes études sur mes familles normandes, 2 séries de numéros de vues, ici vues 85-86, 103-104

J’ai trouvé cet acte aux Archives Départementales de l’Orne, 4E176/50 notariat de La Sauvagère – vues 85-86, 103-104 – Voici sa retranscription (voir ci-contre propriété intellectuelle) :

Du 3 septembre 1750 en la paroisse de La Sauvagère, au village de la Prinze Fay noualle d’Andaine vicomté de Dompheront viron midy, pour parvenir au futur mariage qui au plaisir de Dieu sera fait parfait et acomplis en face de la Sainte église catholique apostolique et romaine entre François Guillouard journalier fils Guilleaume et defunte Marie Germain ses père et mère d’une part, et de Marie Bernier fille de Jacques et de Françoise Desnos aussi ses père et mère, tous de la paroisse de La Sauvagère d’autre part
lesquels futurs présents assistés et du consentement de leurs parents et amis soussignés ce sont donnés la foy de mariage et ont promis de s’epouser l’un et l’autre à la première réquisition que l’une des parties fera à l’autre les céréminies de la Sainte église préalablement faites et observées, et au présent et intervenu ledit Jacques Bernier père de ladite fille lequel en faveur du futur mariage pourveu qu’il soit fait et accompli, a promis et s’est obligé de payer et livret auxdits futurs pour toutes telle part et portion que ladite future pourroit prétendre demander et espérer tant à leurs successions parternelle que maternelle, scavoir la somme de 100 livres en argent, ensemble les meubles qui suivent un lit composé d’une couette, un traversin, une couverture de sarge sur fil, demi tour de lit de toelle, 6 draps de toelle commune, autant de serviettes, 6 écuelles autant d’assiettes d’étain commun, un demi coffre de bois de chesne fermant à clefs, une juppe de flanelle, lesquels meubles livrables à veille de leurs espouzailles estimés entre les parties à la somme de 25 livres une fois payés joint à celle de 100 livres compose en total celle de 125 livres du nombre de laquelle somme il en sera remplacé par consignation actuelle celle de 100 sur le plus clair et menue apparaissant de tous et chacuns les biens meubles dudit futur pour tenir lieu de dot à ladite future ou à leurs enfants provenus de leur futur mariage, se plus lesdits futurs se sont (sic, mais sans doute pour « font ») plein douaire coutumier à avoir à courir lors du jour de la dissolution de leur futur mariage sans enfants autres demandes en justice que leur présent, laquelle somme de 100 livres promise sera payée par différents termes, scavoir 12 livres la veille des épousailles venant en un an et ainsi d’an en an faire et continuer pareille somme de 100 livres jusque au parfait paiement de ladite somme de 100 livres, fait et arrêté du consentement dudit Guillaume Guillouard père dudit futur qui a eu le présent pour agréable, Guillaume Guillouard frère, Jacques Guillouard aussi frère, Pierre Leroy beau frère, Jean Guillouard cousin, Marie Bernier oncle de ladite future, Guillaume Desnoes aussi oncle, Louis Fauvel oncle Mathurin Fouyeul et plusieurs autres parents et amis tesmoins desdits futurs de paroisses du Grez et de la Sauvagère.

    et comme vous le voyez ci-dessus, on ne signe pas, mais en Normandie ceux qui ne savent signent posent leur marque.

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