Le grand poids du Port Ligné et celui des Halles baillés à sous-ferme, Angers 1606

La pesée des marchandises était autrefois un droit seigneurial, réservé cependant aux hauts justiciers, c’est à dire aux seigneuries qui avaient droit de potence.
Ce droit sera réuni au domaine royal en 1691.
Les villes avaient aussi leur octroi, ici,à Angers, au Port Ligné, où accostaient les bâteaux de marchandises, et aux Halles. La ville affermait le droit prélevé sur les marchandises lors de la pesée, et ici, nous retrouvons Guillotin, qui n’est autre que le gendre de François Lemesle, l’hôtelier de Sainte-Barbe rue de la Poissonnerie.
Il existe toujours de nos jours un quai Ligny et voici ce qu’en dit le dictionnaire des noms de rues, en ligne sur le site de la ville d’Angers :

Cette dénomination peut avoir un lien avec la fonction portuaire de cette berge, consacrée au commerce du bois de chauffage, désigné sous le terme local de lignier. On parle alors du port-lignier dès 1507 qui a évolué par transformations euphonique successives en Port-Ligny

Ce quai est situé entre le pont de Verdun et le pont de la Basse-Chaîne, en plein centre ville.

Le poids a le sens de rétribution payée pour la pesée des marchandises à l’octroi, de sorte que je suppose que dans ce qui suit le grand poids, par ailleurs écrit grand poix à l’époque, n’est pas le matériel lui-même mais bien le fait de pouvoir prélever le droit payé.

Angers - collection particulière, reproduction interdite
Angers - collection particulière, reproduction interdite

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, série 5E10 – Voici la retranscription de l’acte par P. Grelier et O. Halbert, qui malgré des neurones encore actifs et surchauffés de paléographie n’ont pu venir à bout de tous les termes techniques, d’autant que le temps était venu à bout de l’encre, fort pale… Mais le sens est préservé, malgré le peu de lacunes, soyez sans crainte… : Le 1er février 1606 après midy, en la cour du roy notre sire à Angers endroit par devant nous Pierre Planchenault notaire de ladite cour personnellement establi sire Pierre Guillotin marchand à Angers paroisse st Pierre tant pour luy que pour César Guillotin son frère fermier du Grand Poids de cette ville d’une part et sire Jehan Perault aussy marchand demeurant audit Angers paroisse de saint Maurice d’autre part soumettant etc confessent c’est à savoir ledit Guillotin audit nom a baillé et sous fermé le bail à sous-ferme audit Perault du grand poix estant sur le port Lignée de ceste ville dont ledit preneur jouira des profits et émoluements qui en proviendront, aussi sera tenu en faire la taxe qu’il y convient faire et ce pour le temps et espace de ung an trois quarts qui ont commencé ce jourd’huy à la charge que si durant ledit temps le grand poids des halles de cette ville estait disponible ? ledit preneur le servira et en prendra les profits et émoluments au moyen de ce que les parties s’en accordent par entre eux sans que néanmoins ledit preneur puisse rien prétendre des assercements ? que ledit Guillotin a faits et fera durant ledit temps et ceulx que ses grands poids et balances en leur maison et est fait le présent marché pour en payer et bailler par ledit preneur audit bailleur à raison de 84 livres tz par an et lesdits trois quarts à ladite raison aux jour et feste de Toussaint premier paiement commençant au jour et feste de Toussaints prochaine (effacé) montant 33 livres et à continuer et outre à la charge dudit preneur de rendre les poids et … dudit grand poids tout ainsi que ledit Guillotin les luy baillera le tout de l’assentiment desdites parties lesquelles ont respectivement stituplé et accepté ce que dessus et à ce tenir garantir etc obligent lesdites parties respectivement eux etc à prendre vendre etc renonçant etc foy jugement etc fait et passé audit Angers au tablier de nous notair en présence de Louis Monseau marchand et Jehan Place aussy marchand demeurant audit Angers tesmoins ledit Placé a dit ne savoir signer.

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Sucre de Rouen, arrivé en mauvais état à Laval, 1639, procès verbal de réception

Je suis Nantaise, et à ce titre j’ai baigné dans l’histoire du sucre liée à celle des ports. Nous avions vu sur mon billet du 21 décembre, la confiserie de Noël en 1633 à Angers, véritable nouveauté, puisque ce n’est qu’en 1632 que le sucre n’est plus le monopole des apothicaires.
Avec ce billet, nous revenons à cette période du début du 17e siècle, mais cette fois, pour suivre le sucre d’un port, en l’occurence Rouen, à l’intérieur des terres, Laval. Je suis personnellement très attachée au contrôle du poids, ayant travaillé dans un service Qualité. A ce titre, j’ai plus qu’un Français moyen, la notion de contrôle du poids, tel que celui qui figure sur tous nos emballages actuels, contôle dont vous ne vous doutez certainement pas, mais qui sont plus que rigoureux et strictement règlementés de nos jours.

L’acte qui suit est extrait des Archives départementales de la Mayenne, série 3E – Voici la retranscription exacte de l’acte, orthographe comprise : Le 7 février 1639 avant midy nous Jean Barais notaire de la cour de Laval et y demeurant sommes en présence et assistance et ce requérant Berthélémy Lehirbec marchant demeurant en cette ville transportez en la maison de François Carré tenant à ferme le grand poids de cette ville sous les grandes halles, pour voir peser certaine basle pleine de marchandises de pains de sucre qui luy ont esté envoyez par Marie de Caulx veuve de Jacques Suny marchand de la ville de Rouen par sa lettre escritte du 29 janvier dernier par l’ordre de François Goutier messager (ce François Carré occupe à Laval un poste important, puisqu’il pèse officiellement les marchandises, qui sont le plus souvent des balles de toile en partance.)

ou estant avons trouvé ledit Goutier lequel nous a présenté une basle pleine desdits pains de sucre pour estre pesée audit poids, lesquelles ont sommé et interpellé ledit Carré de la peser, lequel après l’avoir pesée en présence desdits Lehirebec et Goutier s’est trouvée que toute ladite balle pesoit avec ladite marchandise 81 livres, (il n’y a qu’une balle, et j’ignore si le cheval avait une autre balle de l’autre côté, comme lorsqu’on voit les iconographies de charroi de marchandises)

laquelle basle a esté despliée en notre présence et des tesmoins cy après et se sont trouvés en icelle 20 pains de sucre couvertz de papier bleu lesquelz ont esté trouvez la pluspart en cassonnade et l’autre partie ne pouvoit servir qu’à cassonnade estant tous rompus et desfectueux et ne sont marchands (on voit l’utilité des témoins lors des échanges commerciaux, et du notaire pour dresser le procès verbal officiel de l’état de la marchandise)

lequel Goutier nous a dit lesdits pains de sucre luy avoir esté apportez dans son hostellerye de la Pomme de Pin en la ville de Rouen par ladite de Caulx pour estre apportez en cette ville audit le Hirebec, et estoient enballez lors qu’ilz luy furent apportez et envoyez par ladite de Caulx sans qu’il les ayt veus enballez et a juré et affirmé lesdites marchandises n’avoir souffert aucune incommodité par les chemins son cheval n’estant tombé en façon quelconque ny n’ont esté mouillez par lesdits chemins sy ce n’a esté par cas fortuis de lesgout (égoût) des hayes (les messagers sont souvent liés de famille aux hôteliers, dont le métier est aussi lié aux voyageurs. Ici, on voit que leur responsabilité peut être mise en question si le transport s’est mal passé, or, le sucre craint l’humidité, et nous sommes le 7 février, saison d’hiver. Il y a 240 km de Rouen à Laval, sachant qu’un cheval fait 40 km par jour, la marchandise a voyagé plusieurs jours sur le cheval, environ une semaine. Le messager a donc quitté Rouen au plus tard le 1er février. C’est un transport écologique certes, et à l’abri du prix du pétrole…)

et après lesdits pains de sucre avoir esté ostez de ladite basle icelle auroit esté pesée avec ses cordages et pailles par ledit Carré, lequel auroit trouvé qu’icelle cordaiges est pailles et serpillière pèsent neuf livres, (le poids net du sucre est donc de 81 – 9 = 72 livres)

desquelles dires et de la vacation avons décerné acte auxdites partyes pour leur valloir et servir ce que de raison en présence de Michel Robeveille marchand espicier et Michel Garnier marchand espicier expertz lesquelz pareillement le serment d’eux pris nous ont dict que ledit sucre n’est loyal ny marchand estant nul et en poussière comme cassonnade et ne peut valloir et estre vendu que pour prix de cassonnade et recogneu que ce n’a esté par déni ny manque du voicturier, dont avons aussy décerné acte audit Lehirebec ce requérant, fait et passé audit Laval en présence de François Salmon marchand et honorable Jean Garnier Sr du Pin demeurant en cette ville tesmoings à ce requis et appellés et ont lesdits Goutier Carré et Garnier dict ne signer. (l’épicier est celui qui vient de prendre à l’apothicaire le commerce du sucre, voyez le début de ce billet et le billet de décembre. Les procès verbaux dressés par notaire sont toujours très complets, et font toujours appel à des témoins experts, ce sont des actes très modernes en ce sens)

cassonade. s. f. Sucre qui n’est point encore affiné. Ces confitures ne sont faites qu’avec de la cassonade. (Dictionnaire de L’Académie française, 1st Edition, 1694)

Pain, se dit aussi de certaines choses mises en masse, comme, Pain de sucre. pain de cire. pain de savon. pain de bougie. (même dictionnaire)

Avec ce billet, je viens de créer une nouvelle catégorie ALIMENTATION, et je vais tenter d’y remettre les anciens billet en relevant… Certes, ce billet concerne aussi bien le TRANSPORT, mais comme je pense que comprendre le peu de sucre autrefois sur la table de nos ancêtres, voire l’abscence totale, c’est important…

La famille Le Hirbec, à laquelle appartient Barthélémy, est une ancienne famille lavalloise dont les aînés se qualifièrent de sieurs de la Brosse (Argentré). – Daniel, petit-fils de Barthélémy Le Hirbec, apothicaire, et de Marie Fréard, e fils de Daniel Le H. et de Renée Corneau, serait né en 1621 ; il est connu par ses voyages aux Antilles, dans les Pays-Bas et en Italie, dont il a laissé le récit en deux petits cahiers autographes que possède Mr de la Bauluère à qui je les signalai et qu’a publiés Mr Moreau. Parti de Laval le 3 mars 1642, le voyageur, après diverses péripéties qui n’ont rien de dramatique, arrivait aux Antilles le 3 juin au soir et séjournait à la Martinique jusqu’au 22 août « pour y traicter de marchandises ; » il longea ensuite « la Dominique, » la Guadeloupe, tout l’archipel, se rembarqua le 31 décembre 1642 avec le « fribuste » anglais Denis, qui venait « de couvrir le Pérou » et, en vue de Belle-Isle, continua vers la Hollande qu’il visita, pour rentrer à Laval par Saint-Malo le 31 mai suivant. Deux mois plus tard, le 9 aoput, il repartait pour l’Italie, sans idée mercantile, semble-t-il, en touriste qui possède des connaissances historiques, qui sait voir, qui raconte sobrement, sans admiration outrée. A son retour, Daniel Le Hirbec, sieur de Chambray, se maria avec Françoise Pinart, dont il n’au pas d’enfants, et mourut en 1647. – Barthélémy, frère aîné du précédent, né en 1615, eut de Françoise Chasteigner Daniel Le Hirbec, apothicaire, mari de Françoise Beudin, 1665, qui, veuve avant 1712, mourut le 23 janvier 1742, âgée de 100 ans moins treize jours. – Jean, sieur du Murger, fils du précédent, mari de Françoise Joly, fut élu à Laval. – Daniel-Charles, époux de Marie Heulin, se fixa comme médecin à Evron. (Abbé Angot, Dict. de la Mayenne)


Sur les bords de la Loire (on voit le quai au premier plan) l’une des dernières raffineries de sucre en France, celle de Beghin Say, prise en 1998, à Nantes (photo Grelier). Ce sont bien des nuages (cela arrive à Nantes !) et non de la fumée, qui obscurcissent l’horizon.

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