Forges de La Sauvagère (Orne) par Odile Halbert

A la mémoire d'Edouard Guillouard, mon grand père, quincailler de père en fils, depuis des siècles !

Voici la Grosse Forge de La Sauvagère, telle que les Sauvagériens la vivent dans le cahier de Doléances de La Sauvagère : « Nous payons annuellement 440 L pour notre cote-part de la corvée de chemins sans que ces chemins nous soient d'aucune utilité, ni d'aucun produit. Tout concourt à la destruction de notre pays. Nous avons demandé une grande route d'Alençon à La Ferté-Macé par Ciral et Lignères, de La Ferté-Macé à Vire par La Sauvagère, La Ferrière et Tinchebray et de là dans le Cotentin, route très utile et très nécessaire. On n'aurait point manqué de pierre pour l'entretien de ladite route. Cette route est d'autant plus désirable qu'il se fait un grand commerce à Canisy, Granville et les fers des forges de Saint Denis près Alençon, la Roche Mabille, La Gaudinière, Carouges, Cossé, Rânes, le Champ de la Pierre, Bagnoles, La Sauvagère, Champsecret, Varenne, Halouze. Tous les fers de ces forges se charroient à Chanu, où il se fabrique de toutes espèces de clou et de là l'on transporte ces clous dans le Cotentin, à Alençon, au Mans et ailleurs. Enfin le passage de cette route tant par rapport aux fers qu'aux marchandises de Granville, Villedieu et de Canisy, serait de considération pour le pays s'il y existait une grande route et cela occuperait quantité de pauvres gens de notre paroisse qui, au lieu de payer lesdites routes, y gagneraient leur vie, à ce moyen l'on paierait avec coeur la corvée des chemins si l'on avait espoir de s'en servir. Nous sommes resserés dans un pays éloigné de 7 lieues de Falaise, 6 d'Argentan, 9 de Vire, 9 d'Alençon, 8 de Mayenne et 4 de Domfront. » Haut de page

« Le 7.11.1686, Etienne de Vallembras (il réside à La Coulonche et en prend le notaire, Perier) chevalier Marquis de Segrie, Sgr de La Coulonche, vend à Pierre Goussé Sr de Lesnaudière, Me de la Grosse Forge du Pont Escrepin la coupe des bois sur 2 pièces de terre nommées les Domaines et le Val de Postel appartenant audit Sgr en la paroisse de Segrie, comme ils se contiennent, pour être lesdites coupes faites à ras et fleur de charbonnière et commencer au mois de janvier prochain et être icelles réduites en charbon dans les miennes places qui y ont cy davant servi, et où il en faudrait davantage elles seront prises sur le fonds au moins de dommage que faire se pourra avec liberté de prendre fruitage, terrage, pour ouvrir les fourneaux, en sorte que le tout soit en lieu dans un an dudit mois de janvier prochain, et le fonds libéré de tous les charbons et du tout s’y comporter et faire des galiveaux et en user suivant conformément aux ordonnances sur le fait des Eaux et Forêts ; et fut ladite vente ainsi faite pour le prix et somme de 1400 L qui seront payées par ledit sieur de Lesnaudière savoir la somme de 700 L à Pasques prochain et l’autre somme de 700 L à la Saint Jean prochaine en suivant, le tout au château dudit seigneur à La Coulonche parce que ledit sieur de Lesnaudière en pourra enlever ni faire enlever aucune chose de sur le fond dudit seigneur, qu’auparavant il n’ait satisfait aux payements ci-dessus, dans les temps marqués, et s’est soumis délivrer audit seigneur un cent de gaulles à cercle qui seront prises sur le lieu et est entendu que ledit sieur de Lesnaudière,par ce qui est dû ci-devant, ne pourra enlever ni faire enlever ni faire enlever lesdits charbons qu’après le 1er payement fait qu’il le pourra faire après pour la moitié desdites coupes, et l’autre moitié après le dernier terme payé, et pour le vin du présent marché sera payé par ledit sieur de Lesnaudière la somme de 10 L dans huitaine à l’entretien de quoi lesdites parties ont obligé tous leurs biens meubles et héritages tant présents qu’avenir » (AD61-4E176/08 Perier Nre La Sauvagère) Haut de page

Le 28.12.1709 Bernard Le Débotté, fils du précédent, doit 5600 L pour les bois du roi consommés aux forges de Bagnoles et de La Sauvagère, et non payées. (1)

achat de minerai : «Le 19.2.1682, Thomas Le Turc s'engage livrer à Guillaume Le Debotté Me de forge à La Sauvagère, 400 pipes de minerai des mines du Chesnai proche le pont Ecrépin, achetées à Mr des Rotours pour 800 L » (1)

« Le 23.4.1689, au lieu de la Grosse Forge de La Sauvagère, Noel Chancerel Md Dt au village de la Fresnais à Chanu, étant de présent à la Grosse Forge de La Sauvagère, a reconnu devoir et ce par corps et par biens obligé payer dans toutes fois et quantes se jourd’huy passé à Me Guillaume Ledebotté sr des Jugeries, propriétaire de ladite forge, à ce présent, savoir est la somme de 1232 L 15 s ce fait à cause de marchandises que ledit sr des Jugeries lui a ci-devant vendu et livré sur ses billets de lui signés, qui lui ont été présentement rendus, dont ledit Noël Chancerel s’est tenu à content, et partant obligé, fait en présence de Guillaume Jobey sr de Brune Fonteyne et Jacques Roussel de La Sauvagère » (AD61-4E176/11)

maître de forge de la Foucaudière à La Sauvagère : Pierre Chouet Sr de Vieux-Moulin, Me de Forge, probablement issu des Chouet Mes de Forge à la forge de Cossé en 1574, prend le bail en juillet 1618 pour une durée de 6 ans pour 10 000 L, soit 16 666 L/an | Guillaume Le Debotté Sr des Jugeries (Domfront), originaire de Domfront, lui succède | Laurent de Vaux-Bidon époux de Anne Fouché | Joseph Fouché Sr de l’Epine 1754 | Pierre Mallet 1787, 1790, marié à Alençon en 1785 à Marie Madeleine Duval
commis régisseur Michel La Mare 173, 1770
chauffeur, chauffe le fer pour le travailler | Pierre Morin chauffeur à la forge de Bouvy, oncle de Marie Françoise Duvel fille d'Anne Morin née en 1758 | François Fretigny 1763, 1760, marié en 1753 à Renée Desbois | Guillaume Duvel 1782, 1791, marié à Champsegret en 1781 à Anne Ernoult cousine de Jacques Ernoule le marteleur | Jacques Ernoult 1783, 1790 Haut de page
valet de chauffeur : Jean Chague † 7.5.1767 à 18 ans
marteleur, transforme au marteau les pièces René Brosset marié en 1757 à Louise Barré | François Tigné 1775 † 6.9.1780 à 35 ans, époux de Anne Heurtaux | Jacques Ernoult 1783, 1790, marié en 1786 à Anne Masseron, fille d'un maréchal de Tessé | Jacques Ernoult
affineur, transforme la fonte en fer dans la même halle que la chaufferie et le marteau | François Macé 1754 époux de Catherine Maxence | Jean Colin 1755, 1763 époux de Marie Dumesnil | Pierre Patry marié en 1760 à Marie Mauny | François Voelle marié en 1760 à Renée Jardin | Jean Chedeville 1781, marié à Champsegret en 1774 à Magdeleine Barré | René Gadoist 1781, 1783, marié en 1777 à Marguerite Guilmard
valet d'affineur : Jacques Bernier, de la paroisse de La Roche Mabille, 16 ans | Robert Fourré 1782, 1785 époux de Anne Hergault puis de Jeanne Boisard | François Louvel 1790 époux de Suzanne Prodhomme
fendeur transforme les bandes de fer en baguettes ou en tôles, en les applatissant Pierre Voisel † 1777 originaire de la paroisse de la Pôté, à 42 ans | René Mauny 1778, 1790, époux de Anne Lamare | Guillaume René 1790, garçon fondeur de la grosse forge, marié depuis 1784 à Marie Ernoult | Pierre Jacqueline 1778, 1784, garçon fendeur à la grosse forge de Ranne, marié en 1773 à Marguerite Prodhomme Haut de page
garde au fourneau Bonaventure Bigeon 1750 | Jean Poulet † 1758 de la paroisse de la Pôté, à 60 ans
voiturier aux forges la grande majorité des Sauvagèriens sont portefaix, et manifestement assurent les charrois de la forge, que ce soit du charbon de bois de la forêt voisine, du minerai, et par la suite leslivraisons du fer à Chanu etc... : Gilles Prodhomme 1778, époux de Anne Louvel
contrat de travail : voici 2 contrats pour la forge de Bagnoles le 12.4.1801, dont celui de Thomas Armand Buard, recharge d’affineur Dt commune de Varenne, pour 7 ans pour 30 F par an, logement et chauffage fournis mais pas le droit de s'absenter, et voici le second in extenso pour que vous lisiez les termes précis | « Le 22 germinal IX le citoyen Philippe Huë affineur Dt à la forge de Bagnolles commune de Tessé lequel s’est par la présente soumis et obligé même par corps envers le citoyen Jeavrin Me de forge de Bagnoles, de travailler de sondit métier d’affineur en ladite forge de Bagnolle et d’y faire 20 pièces par jour, pendant le temps de 7 ans 5 mois entiers et continus, qui commenceront le premier floréal prochain et finissant à pareil jour au bout desdites 7 années 5 mois, sans pouvoir ledit Huë s’absenter de ladite forge sans le consentement express dudit citoyen Jeuvrin ou de don représentant à ladite forge parce que ledit citoyen Jeuvrin s’est obligé de lui payer la somme de 50 F par mois et en outre la jouissance d’une maison manable et d’un jardin et son chaufage évalués à 30 F chacun an parce que ledit Huë se fournira un vallet pour boucher le feu pendant ledit temps, et sur ce que ledit Huë a promis de travaille en bien et de conserver les intérêts du citoyen Jeavrin comme des siens propres et de ménager le charbon, fait en présence de Jacques Bellenger et de Pierre Guilmard » (AD61-4E176/85)
accidents : ce sont des petits enfants qui manifestement ont accès à la forge et tous ses dangers : le 9.1.1781 Marie Lamare 2 ans, écrasée à la fenderie de la Forge, fille de Michel et de Marie Varsavaux, inhumée avec la permission du baillif de la baronnie royale de La Ferté Macé | le 11.7.1785 Jacques Ernoult fils de Jacques, marteleur, et Anne Ernoult, trouvé mort dans un petit volume d’eau à la Grosse Forge, 2 ans, avec le certificat de Charles Louis Garnier Sr de la Fosse Cr du roi et de M, lieutenant général civil et criminel du baillage royal de Domfront Haut de page

La Sauvagère fut un berceau de la quincaillerie à travers la France. Tandis que les Guillouard livraient depuis Nantes la Bretagne avec 18 chevaux au 19e siècle, les Peccate tenaient la Vendée.

fermeture de la forge : reprise en 1810 par le comte de Rederne, entrepreneur si hardi que tous les autres vont se liguer contre lui, la forge tombe peu à peu. Les bâtiments, abandonnés, disparurent au 19e siècle, et avec eux toute trace de la forge disparut. Les Sauvagériens eurent recours à l'émigration vers le Pas de Calais, ou le textile à La Ferté-Macé. Haut de page

sources : actes notariés relevés par O. Halbert

1-Mr de Contades, La Sauvagère la Forge