Rapt de Fleurie Dumur, Angers

Le rapt est un terme probablement disparu ou tout au moins en voie de disparition, alors que chez nos ancêtres il était bien connu, et à la fois une faute devant l’église catholique et romaine et une faute devant la loi coutumière.
Les dictionnaires les plus anciens le définissent même dans son sens le plus étroit, qui est l’enlèvement d’une fille, alors qu’au 18e siècle on ajoutait aussi l’enlèvement d’un fils, et même ci-dessous celui d’une religieuse. On remarquera que celui d’un religieux n’est pas compris dans la définition, sans doute ne se pratiquait-il jamais ! Quoiqu’il en soit la définition suivante tant à démontrer que parfois les demoiselles étaient mises au couvent pour les mettre à l’abri des séducteurs !

RAPT. s. masc. (On fait sonner le T final.) Enlèvement par violence ou par séduction, d’une fille, ou d’un fils de famille, d’une femme, ou d’une Religieuse. (Dictionnaire de l’Académie française, 5th Edition, 1798)

J’ai trouvé l’acte qui suit aux Archives du Maine-et-Loire, série 5E5 – Voici ma retranscription : Le 15 novembre 1610 (Moloré notaire royal Angers), sur les procès et différents meuz ou espérés à mouvoir tant par devant Mr l’officiel de ceste ville d’Angers que par devant Mr le juge et garde de la Prévosté de ceste dite ville entre Jacquine Dumur mère et tutrice naturelle de Fleurye Dumur sa fille demanderesse devant ledit officiel afin que défenses fussent faites à François Gilteau de non se marier avec sadite fille et de ne la fréquenter et depuis devant ledit juge prévostayre en crime de rapt

    j’ai compris que sa fille vit bel et bien avec Gilteau, lequel refuse de l’épouser, mais j’ai aussi entrevu le curieux nom de la mère et la fille, c’est à dire le même et l’absence de mention après le nom de la mère de la mention, toujours utilisée, « veuve de untel », qui qualifiait les femmes.
    Alors j’ai pensé que la mère était une fille mère, et qu’elle ne voulait pas que sa fille subisse ce qu’elle avait sans doute elle même vécu ! Si vous avez une meilleure idée, merci de nous le faire connaître ci-dessous

de laquelle intstance devant ledit sieur officiel ladite Dumur se seroit délaissé et a poursuivi sadite instance de rapt en telle sorte que seroit intervenu sentence exécutoire par laquelle ledit Gilteau auroit esté condamné
et estoient lesdites partyes prestes à tomber en plus grande involution de procès pour auxquels obvier paix et amour nourrir entre eux ont par l’advis et conseil de leurs amis transigé et accordé comme s’ensuit

    après l »énoncé des faits et plaintes, voici la transaction, qui sera suivie à la fin de l’acte du contrat de mariage à l’arraché

pour ce est-il que en la court du roy notre sire à Angers (Moloré Notaire royal) endroit etc personnellement estably ladite Jacquine Dumur audit nom de mère et tutrice naturelle de sadite fille demeurante en la paroisse de la Trinité de ceste ville d’une part
et ledit François Gilteau voicturier par eau aussy demeurant en ladite paroisse de la Trinité d’autre part
soubzmettant respectivement confessent avoir sur lesdits procès transigé et accordé comme s’ensuit c’est à savoir que ladite Jacquine Dumur s’est désisté et désiste de ses demandes portées par ledit procès auxdits Gelleteau et sadite fille tant par devant monsieur l’official que par devant monsieur le juge de la prévosté de ceste ville et se marier ensemble
et que ledit Gilleteau et sadite fille se maryent ensemble sy bon leur semble ainsy qu’ils verront et au parsus du consentement desdites parties demeurent lesdits procès entre lesdits parties clauturés tant en l’officialité que prévosté nulz et assoupiz et de leur consentement sans autres despens dommaiges ne intérests de part et d’autre

    la mention SI BON LEUR SEMBLE indiquerait que la mère ne les force pas, cependant, ci-dessous, on va découvrir qu’elle ne laisse l’argent et les meubles que s’ils se marient ! Effectivement, les parents qui n’étaient pas d’accord pour le mariage pouvaient ne rien donner.
    Suit le contrat de mariage, dans le même acte

et par ces mesmes présentes ledit Gelleteau et ladite Fleurye fille de ladite Dumur aussi à ce présent ont promis et par cs présentes promettent en présence de ladite mère se prendre en mariage et iceluy sollemniser en face de nostre mère sainte église catholique apostolique et romayne sy tost que l’un en sera requis par l’autres cessans tous légitimes empeschements
et du consentement de ladite Dumur mère, lesdits futurs conjoints prendront pour 60 livres de meubles qui est en la maison de ladite mère et qui appartiennent à ladite Fleurye fille, laquelle somme de 60 livres faisant partie de la somme de 108 livres qui auroyent cy devant esté donnés à ladite Fleurye, et le surplus montant 48 livres ladite Dumur a promis et promet les payer auxdits futurs conjoints dedans Nouel prochain et lors qu’ils seront espousés

    la mère est encore méfiante vis à vis de la promesse de mariage et veut voir le mariage effectif !

et est encores concenu que lesdits meubles comme ladite somme de 48 livres cy dessus revenant à ladite somme de 108 livres demeureront le propre de ladite Fleurye sans que ladite somme de 108 livres puisse estre mobilisée ne entrer en ladite future communauté desdits futurs conjoints pour quelque long temps qu’ils puissent demeurer ensemblement

    phrase admirable qui semble indiquer que la mère est persuadée qu’ils ne sont pas faits pour vivre longtemps ensemble, et elle tente pratiquement de préserver les droits de sa fille malgré elle.

et a ladite Dumur mère promis et promet payer à sadite fille dedans ledit terme de Nouel lors qu’elle sera espousée comme dit est la somme de 36 livres tz à laquelle somme lesdites parties ont composé accordé tant pour les acoustrements et habits de sadite fille à son usage que pour les services d’icelle sa fille en ce non comprins les meubles cy dessus
et moyennant ces présentes ledit Gilleteau et Mathurin Ledroit Me tailleur d’habits demeurant en ladite paroisse de la Trinité à ce présent aussi soubzmis soubz ladite court chacun d’eulx seul et pour le tout ont promis et promettent faire cesser les poursuites que pourroyent faire cy après les autres accusez audit rapt avec lesdits Gilleteau et Ledroit denommez par ladite sentence, et en acquitent ladite Dumur à peine ces présentes néanmoins etc et demeure pareillement ladite Dumur quite des demandes que luy faisait ledit Gillereau audit siège de la prévosté

    il avait des complices !
    Et on constate que les complices sont eux aussi poursuivis et condamnés, et ce sont sans doute eux qui ont fait pression sur Gilleteau pour faire cesser les poursuites par ce mariage à l’arraché

dont et de tout ce que dessus lesdites parties sont demeurées d’accord et à ce tenir etc obligent lesdites parties respectivement etc renonçant etc foy jugement condemnation etc
fait et parssé à notre tablier audit Angers en présence de honorables hommes Me René Bariller advocat Me René Davoust greffier de ladite officialité Me Jehan Saunie ? Pierre Jouet sieur de Beauguyon demeurant audit Angers tesmoins et ont lesdits Dumur et Gillereau déclaré ne savoir signer

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    Remarquez attentivement que Fleurie Deumur sait signer, ce qui atteste que la mère a tenu à donner à sa fille une éducation solide, espérant sans doute la marier mieux.
    On est alors en droit de conclure que la mère s’oppose depuis le début à cette relation de sa fille, parce qu’elle estime que c’est une mésialliance, et que le rapt n’est que la conséquence du refus de la mère à un mariage avec Gilteau, mariage qu’elle devra par la suite accepter.

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3 réponses sur “Rapt de Fleurie Dumur, Angers

  1. -A PARNAY.
    -L’étrange histoire d’un enfant volé…

    -Le bourg de Parnay aligne ses blanches maisons de tuffeau le long de la route de Saumur à Montsoreau,entre la vallée inondable et la haute falaise calcaire.
    Une rampe fort raide s’agrippe à celle-ci pour gagner l’église qui,au sommet du plateau et tout au bord de l’abrupt rocher,dresse son beau clocher roman à flèche de pierre.L’édifice,auquel le XVe siècle,la Renaissance,le XVII ajoutèrent chacun sa note,est d’un très grand pittoresque.
    J’y suis allé rêver d’un nouveau-né à l’étonnant destin qu’une famille heureuse,grimpant elle aussi le raidillon il y a plus de trois siècles de cela,y porta baptiser le 20 mars 1621.Ce poupon qu’on prénomme Guillaume comme son grand-père paternel,était le cinquième enfant de Martin Sébille,vigneron du coteau de la Puge,et de Catherine Borré.Un de ses oncles,Jehan,était notaire du comté de Montsoreau et la famille semble avoir joui d’une confortable aisance.
    Un drame,hélas ! allait détruire cette tranquillité familiale. L’enfant,si jeune qu’il ne connaissait pas encore son nom,ni celui de son village,fut volé par des bohémiens.Il allait vivre avec eux jusqu’à l’âge de dix ou douze ans,puis se réfugia chez des religieuses;celles-ci l’employèrent à de menus travaux de jardin et lui donnèrent une première éducation.
    Ensuite-car peut-être auprès des bohémiens avait-il pris le goût des voyages-le jeune garçon,vers quinze ans,s’engagea dans les armées du roi…Je dois ici prévenir que cette histoire,parfaitement authentique,rapportée au XVIIe siècle par le fort sérieux Dom Martène,de la Congrégation de Saint-Maur,ressemble à s’y méprendre à un roman d’Alexandre Dumas ou au « Sans famille » d’Hector Malot:le hasard le plus extraordinaire,et qu’il faut bien,je crois,appeler la Providence,fit que la compagnie du jeune Guillaume passa un beau jour par Parnay;un habitant l’y entendit raconter son enfance et,frappé par sa ressemblance avec maître Martin Sébille,s’en vint prévenir la famille.
    Or Madame Sébille savait pouvoir reconnaître son fils à une certaine tache qu’il avait sur l’épaule.Elle fut trouver le capitaine,qui l’ayant écoutée,fit venir le soldat et, sous prétexte qu’il lui aurait été dénoncé comme portant la marque au fer rouge des criminels,le fit déshabiller:le soldat était bien l’enfant autrefois volé par les bohémiens !
    Revenu au milieu des siens,Guillaume Sébille entreprit des études.Peut-être aurait-il repris l’étude de notaire de son oncle,mais, »réfléchissant aux grâces que Dieu lui avait faites »,il fit profession à l’abbaye de Saint-Melaine de Rennes,âgé de vingt et un ans moins quatre jours,le 16 mars 1642.Il allait constamment y faire l’édification de tous ceux qui l’approcheraient,enseignant la philosophie et la théologie,montrant un très grand talent pour la prédication.Sa vie,en outre,allait être environnée de phénomènes mystiques.
    Devenu sous-prieur de la célèbre abbaye de la Chaise-Dieu,en Auvergne,il venait d’être élu prieur de Nouaillers quand il s’éteignit,environné d’une véritable réputation de sainteté,le 10 juillet 1666.
    (MANOIRS et GENTILHOMMES D’ANJOU.André Sarazin.)

    (Acte de baptême de Guillaume Sébille.AM Parnay BS (vue 106.)

    ,

  2. Bonjour
    cf :La Trinité . 1601-1631 – Baptêmes, mariages (vue 555 ,enhaut à gauche)

    mariage de ces deux personnes François Gilleteau et Florie Dumur ,il semble effectivement que la jeune fille soit ‘bastarde?’ mais difficile de lire.

      Note d’Odile :

    Merci
    Je vais tenter cette lecture.
    A+

  3. « Le 21 novembre 1610 furent célébrées les nopces de Françoys Gilleteau fils de deffunt (illisible) Gilleteau et de Mauricette Fournier ses père et mère et de Florie Dumur fille de Jaquine Dumur tous deux de cette paroisse qui effiancèrent le premier jour de may et les bans faitz par diverses foiz et les espousailles faites avec la permission des juges de l’evesché et juges de la prévosté comme appert par sentence d’iceux et lettres passées par (illisible) notaire royal par nous soubz signé – signé Hodemon »


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