Achat d’un alambic de vinaigrier, en 1662

Cet article a une suite les 14 et 15 mars, ces 3 jours traitant tous du vinaigre et du vinaigrier.

Vous êtes hyperdoués (ées), car j’avais préparé ce billet et vous connaissez ces usages avant de l’avoir lu. Bravo à vous !
Demain, je vous offre l’inventaire après décès d’un vinaigrier. Or, en tappant cet inventaire, quelle ne fut pas ma surprise de trouver un alambic de cuivre, et beaucoup de barriques d’eau-de-vie.
Renseignements pris à Orléans, près de l’ex-vinaigrerie du quartier St Marceau, il y a bien un alambic dans une vinaigrerie.
Avant de voir pourquoi cet alambic, voici d’abord son achat, pour la somme relativement importante de 150 livres, qui fait de cet alambic un investissement important de la vinaigrerie.

L’acte qui suit est extrait des Archives Départementales du Maine-et-Loire, 5E90. Voici la retranscription de l’acte : Le jeudi 5 janvier 1662 avant midy, devant nous André Choisnet notaire royal à Angers, résidant aux Ponts-de-Cé, furent présents en personnes establys et duement soumis
Estienne Gigault marchand tonnelier demeurant en ce lieu paroisse de Saint Maurille d’une part,
et Jean Boutton sieur de la Roche aussi marchand (souvenez-vous, c’est notre marchand tonnelier vinaigrier, qui prenait hier un apprenti) demeurant en cedit lieu dite paroisse d’autre part, lesquels ont fait et font entre eux le marché et convention qui suit,
qui est que ledit Gigault a vendu quitté et transporté et par ces présentes vend, quitte et transporte et promet garantir audit Boutton ce acceptant que luy a acheté et achère pour luy ses hoirs etc une chaudière de francq cuivre tenant à l’estimation d’une busse ou environ à faire eau de vie avecq son alembic et chapeau de la qualité bonté et livraison de laquelle chaudière alembic et chapeau ledit Boutton se contente et en acquitte et quitte ledit Gigault :
ce marché et transport fait pour et moyennant le prix et somme de 150 livres tournois laquelle susdite somme ledit Bouton a payée et baillée comptant audit Gigault, qui l’a prise et reçue en bonne monnaie ayant cours suivant l’édit, dont il s’en contente et l’en quitte, ce qui a été ainsi voulu stipullé consenty et accepté par lesdites parties …
fait et passé auxdits Ponts de Cé à nostre tabler présents Mathurin Commin et Allain Dupuy praticiens tesmoings. Signé : Boutton, Gigault, Choisnet

L’alambic contient une busse, soit, en Anjou, un tonneau de 287,8 litres, encore appelé barrique. Il y a 2 busses dans une pippe de vin.

Mais à quoi sert donc cet alambic dans une vinaigrerie ?
Les vinaigriers sont organisés en corporations et ont des statuts, dont l’un cité par l’Encyclopédie de Diderot m’intrigue. Il est en effet précisé qu’ils doivent apprendre 4 ans, or, nous avons vu hier un apprentissage de 2 ans. La question de l’apprentissage reste ouverte, revenons à l’alambic.

Un autre de leurs statuts fait d’eux des distillateurs d’eau-de-vie : Les ouvrages & marchandises que les maîtres vinaigriers peuvent faire & vendre, exclusivement à tous les maîtres des autres communautés, sont les vinaigres de toutes sortes, le verjus, la moutarde & les lies seches & liquides. A l’égard des eaux-de-vie & esprit-de-vin qu’il leur est permis de distiller, elles leur sont communes avec les distillateurs, limonadiers & autres. (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert)
Outre la production d’eau-de-vie, le vinaigrier améliorait la conservation du vinaigre en le distillant : le residu d’un bon vinaigre distillé par l’ébullition, demeure longtemps sans se corrompre (Diderot). Si on veut du vinaigre qui ne se corrompt point, c’est par exemple, parce qu’il est embarqué à bord des bateaux comme agent de lavage désinfectant des ponts, etc… et pour la haute mer, on a intérêt à ce qu’il tienne plusieurs mois.

Et Diderot poursuit :

VINAIGRERIE, s. f. (Art distillerie) petit bâtiment faisant partie des établissemens où l’on fabrique le sucre ; c’est proprement un laboratoire servant au travail & à la distillation de l’eau-de-vie tirée des debris du sucre que l’on a mis en fermentation. Voy. TAFFIA.

Effectivement, on peut faire du vinaigre, ou de l’eau de vie, avec tout ce qui fermente…

Quant à ses usages médicamenteux, toujours selon la même source (extraits, car c’est fort copieux !) :

Bons effets du vinaigre contre les maladies pestilentielles et plus loin un grand remede dans les fievres aiguës, ardentes, malignes, dans la peste, la petite vérole, la lepre, & autres maladies semblables … Le vinaigre appliqué extérieurement est atténuant, discussif, répercussif, antiphlogistique, & bon dans les inflammations, les érésypeles

Je vous épargne le flot de littérature à son sujet médicamenteux, mais je garde une tendresse particulière pour la préparation qui suit, car elle porte un joli nom :
VINAIGRE des quatre voleurs, c’est ainsi qu’il est décrit dans la pharmacopée de Paris. Prenez sommités récentes de grande absynthe, de petite absynthe, de romarin, de sauge, de rue, de chacun une once & demie ; fleurs de lavande seche, deux onces ; ail, deux onces ; acorus vrai, canelle, gérofle, noix muscade, deux gros ; bon vinaigre, huit livres ; macerez à la chaleur du soleil, ou au feu de sable, dans un matras bien bouché, pendant deux jours, exprimez fortement & filtrez, & alors ajoutez camphre dissous dans l’esprit de vin, demi-once. Le nom de cette composition lui vient de ce qu’on prétend que quatre voleurs se préserverent de la contagion pendant la derniere peste de Marseille, quoiqu’ils s’exposassent sans ménagement, en usant de ce vinaigre tant intérieurement qu’extérieurement ; & beaucoup de gens croient encore que c’est une bonne ressource contre l’influence de l’air infecté des hôpitaux, &c. que de tenir assidument sous le nez un flacon de ce vinaigre. (Diderot)

Avouez que 4 voleurs et pas 40, cela ne s’oublie pas !

Merci à tous vos commentaires et souvenirs de vinaigre. Je me souviens seulement pour ma part des cheveux, et de l’aide à la lessive.
Demain nous voyons les achats pour sa fabrication autrefois. Nous serons en 1710.

Odile Halbert – Reproduction interdite sur autre endroit d’Internet seule une citation ou un lien sont autorisés.

Une réponse sur “Achat d’un alambic de vinaigrier, en 1662

  1. Report des commentaires parus dans mon ancien blog :
    Elisabeth, le 13 mars : Selon le dictionnaire historique des arts, métiers et professions exercés à Paris depuis le XIII° (Alfred Franklin), l’apprentissage durait quatre ans suivi de deux années de compagnonnage.
    Note d’Odile : Effectivement, c’est la même durée que celle que donne l’Encyclopédie de Diderot, mais je les soupçonne de s’être copié l’un l’autre. Cette durée de 4 ans me pose problème, non seulement parce que c’est 2 ans dans le contrat d’appentissage que j’ai mis hier en ligne, mais tout simplement parce que je suis chimiste. J’ose affirmer, en chimiste, que la durée de 2 ans me semble plus exacte que celle de 4 ans. Ce qui signifie que la durée de 4 ans donnée comme vérité absolue par Diderot et Franklin est extraite d’un unique document, de surcroît Parisien, et qui n’a pas l’air d’être une vérité nationale… Il faudrait trouver d’autres contrats d’apprentissage, ou mieux, des règlements de corporations. Ce billet incitera probablement d’autres détempteurs de tels contrats à prendre contact ici, j’ose l’espérer à l’avenir. Merci d’avance à toute personne qui pourrait nous éclairer en apportant de telles sources à l’appui.

    sarah, le 13 mars : Un de mes ancêtres était hôte et « brûleur de cidre ». J’en avais conclu qu’il fabriquait de l’eau de vie ,il devait donc aussi faire du vinaigre….
    Note d’Odile : votre première conclusion est la meilleure, car la réciproque ne peut être vraie. Les VINAIGRIERS avaient des statuts et règlements qui les autorisait aussi à distiller, d’ailleurs vin comme cidre ou autre, tandis que les distillateurs ou brûleurs n’ont pas le statut de vinaigrier. Ensuite, dans cette explications, vous ne dites pas si c’est avant ou après la Révolution, chose la plus importante dans la définition du métier. Ce que je suis en train d’illustrer concerne bien sûr la période avant la Révolution.

    sarah, le 18 mars : cet ancêtre vivait dans la deuxième partie du 17e siècle. Le métier de brûleur, distillateur était un métier ambulant…Il a été supprimé au 20e siècle, si mes souvenirs sont bons.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *