Fermier
-
Attention, ce mot est un faux ami, car en aucun cas il ne s'agit d'un exploitant agricole. Le « fermier » est
celui qui a pris à ferme le bail d'un bien foncier, c'est à dire à prix
ferme, dans l'intention de le gérer en intermédiaire entre le
propriétaire et l'exploitant direct. Le fermier en Haut-Anjou apparait quasiment toujours dans
les registres paroissiaux comme « marchand », terme vague, qui décrit
aussi bien les petits que les gros commerçants de fil ou autre marchandise,
que les fermiers.
- On
prend aussi à ferme un office, et on est « fermier du huitième
» ou « fermier des impositions foraines », c'est à dire collecteurs
de ces impôts indirects. Aussi, lorsqu'on rencontre le terme « marchand
fermier », on ne peut pas conclure de quel type de ferme il s'agit,
soit de la gestion de biens fonciers, soit d'un office.
- La
gestion de biens fonciers est laissée à ferme à un marchand fermier
par le propriétaire qui vit assez loin pour ne plus pouvoir avoir
un oeil vigilant sur l'exploitant. En effet, le bail à moitié, qui
sera le bail final avec l'exploitant, demande une surveillance lors
des récoltes, afin que l'exploitant respecte le 50/50. Ce propriétaire
est donc contraint à prendre sur place un gestionnaire de biens qui
aura pour lui cet oeil vigilant sur place. Tous les notables qui souhaitent
monter socialement, partent travailler et s'allier dans plus grande
ville Angers, puis Tours (l'élection) ou Paris. On monte d'abord à Craon
lorsqu'on est issu d'une paroisse relevant de la baronnie de Craon,
ou à Pouancé pour la baronnie de Pouancé.
Depuis qu'Henri IV a institué un présidial à Château-Gontier, on monte
encore mieux là, puis plus haut on monte à Angers. De là, on va à Tours,
puisque tout l'Anjou relève de l'élection de Tours, et qu'il y a là
des offices plus importants, et enfin, et ceci n'est pas rare, on monte
à Paris.
- Un
propriétaire est loin dès lors que son cheval ne fera pas l'aller
et retour dans la journée. Un cheval parcourt 40 à 45 km/jour, soit
20 km aller + 20 km retour. Donc, un propriétaire est loin de ses biens
lorsqu'il demeure à plus de 20 km d'eux. Vous me direz, il n'a qu'à
les vendre pour d'autres plus proches. Ce n'est pas si simple que cela,
car l'impôt sur la transmission des biens est disuasif.
- Bien
sûr, celui qui prend à ferme la terre d'un propriétaire éloigné est
toujours bien connu de lui voire un parent plus ou moins éloigné, car
on ne délègue pas ainsi à n'importe qui la gestion de ses biens.
- Le
bail à ferme fait toujours l'objet d'un contrat notarié. Pour le chercheur,
les choses se compliquent, car le notaire qui rédige le bail est toujours
proche du domicile du propriéaire et non du lieu des biens fonciers.
En conséquence, lorsque l'on dépouille un notaire local, on ne voit
pas ce bail à ferme. Mon expérience montre qu'il est le plus souvent
à Angers. Et Angers réprésente des kilomètres linéaires d'archives notariales
!
- Ensuite,
le fermier traite localement pour bailler à un exploitant le bien foncier.
Le bail peut être soit à moitié soit à sous-ferme. L'ennui, c'est que
dans la majorité des cas, le notaire du coin omet d'écrire que le bailleur
agit en tant que fermier et non en tant que propriétaire. D'où les erreurs
commises en dépouillant ces notaires pour faire une monographie locale.
Certains auteurs ont conclu un peu vite qu'untel possédait les 2/3 de
la paroisse alors que dans la majorité des baux il traite en fermier
! Bien entendu, le fermier y trouve son
compte. D'ailleurs, cette activité est si lucrative qu'elle permet tout
simplement à n'importe qui d'augmenter ses revenus, et je trouve des
Angevins ayant pourtant un métier, prenant aussi des biens à ferme.
Regardez par exemple la famille Poyet
à Segré. La majorité d'entre eux exercent comme arquebusier, boucher,
mais gère aussi des biens. Voyez les riches Crespin,
Chesneau, qui gèrent avant les Bodin la terre du Plessis de Marigné,
les Lemonnier, les Guillot, etc...
toutes ces familles n'hésitaient pas à spéculer, en conservant la part
de récolte pour vendre au prix fort.
- Si le fermier meurt, son épouse reprend
la gestion, car le plus souvent elle est associée au bail. J'ai déjà
2 exemples à vous citer : Katherine Fouin
en 1630 pour la chatellennie de Chazé-Henry,
et Marie-Magdeleine Lemonnier veuve Jallot, qui demeure encore au château
de Ghaisne après le décès de son époux en 1734, et est dénommée dans
tous les actes la « fermière du comté de Ghaisne ». Preuve que les femmes
savaient aussi gérer, il est vrai que toutes le 2 avaient été à bonne
école familiale !
- Les biens fonciers sont de dimension
très variable, et on peut même bailler à ferme d'importantes seigneuries.
Ne vous imaginez surtout pas que les nobles qui se montrent à la cour
des rois de France gèrent eux-mêmes leurs biens !
- En conclusion, un fermier est l'ancêtre
de notre intendant, gestionnaire de biens immobiliers, travaillant cependant
dans des conditions juridiques et pratiques fort différentes. En tous
cas, c'est toujours un moyen efficace de gagner de l'argent au détriment
autant du propriétaire que de l'exploitant.
-
les
exploitants
agricoles
- En Haut-Anjou, avant 1789, un exploitant agricole
n'est jamais propriétaire de l'exploitation. Il est dénommé "métayer,
closier, laboureur, journalier".
- Le terme "'bordier"
est utilisé plus au sud de l'Anjou, vers la Loire, et en Poitou, pour
désigner le cultivateur qui exploite une petite propriété rural de quelques
hectaures, soit comme propriétaire soit comme fermier. En Anjou, à la
fin du Moyen-âge, le bordier est un laboureur qui possède 2 boeufs et
exploite 6 à 10 hectares, cette propriété se nomme une borderie, et
c'est la surface cultivable avec 2 boeufs.
- Le plus riche est
le métayer qui exploite une métairie,
souvent à plusieurs ménages car elle est plus importante que la closerie
ou borderie, et demande plus de bras. Le closier suit. Le laboureur est utilisé parfois
pour l'un ou l'autre. Le journalier quant à lui n'a que ses bras pour
se louer aux autres à la journée. En
Haut-Anjou, l'exploitant direct n'est jamais dénommé "fermier".
Métayer, closier et laboureur prennent
à bail de 5, 7 ou 9 ans une métairie ou une closerie. Il existe 2 formes
de baux en Haut-Anjou, le bail à moitié et le bail à ferme, c'est à
dire à prix ferme. Le bailleur est soit le propriétaire soit le fermier.
Enfin, on prend aussi à ferme une maison pour l'habiter, et le terme
évolue doucement vers « louage » au cours du 18e siècle, qui va donner
notre terme « loyer ».
-
animaux
d'autrefois : ce sont les boeufs qui labourent, pas le cheval !
- Lexique
:
Légende
variante
en Anjou L
livre chef tête de bétail bergail
troupeau de moutons, chêvres blandin poil blandin
(couleur non trouvée à ce jour par moi)
(2) bouvard jeune boeuf poudre (f) jument qui n'a pas
été montée (2) taure thore
(f) génisse taurin taurillon thoreau
taureau
timon pièce tractante
reliant le joug à la charrue "boeuf du timon = boeuf de trait"
- 1634 Jan Gault
Sr de Beauchesne, curateur des enfants de †Laurent Gault Sr de Basse-cour
& †Louise Duineau, dt au Teil en Bretagne, & Jean Boislève Md
à Candé font le prisage des bestiaux sur 2 métairies appartenant aux
mineurs, dont Boislève est fermier : le Fougeray à Angrie 1 thoreau
20 L, 2 boeufs 86 L, 2 moyens boeufs 70 L, 2 jeunes boeufs 54 L, 4 vaches
80 L, 1 thoreau 20 L, 1 thoreau 12 L, 3 veaux de l’année 15 L, soit
337 L au total, & de la Funetière à Vritz 2 grand boeufs
60 L, 2 moyens boeufs 54 L, 2 jeunes boeufs 42 L, 3 vaches 45 L, 26
chefs de bergail
30 L, 2 petits godillières
6 L (AD49-5E95/158 dvt Pierre Hatte Nre Candé)
- 1747
François-Louis Girault écuyer seigneur
de la Houssaudière et de la
Rue et Renée-Marthe Drouard son épouse baillent à ferme après enchères
4 métairies et une closerie à Noëllet
à Jacques Jallot de la Chouannière de St-Michel-du-Bois le tout pour
820 L (AD49-5E32/020 Etienne Chollet Nre Royal Segré) dont voici les
bestiaux : la
Barre : 2 bœufs poil rouge 150 L, 2 bœufs poil rouge-brun
137 L, 2 bœufs poil blandin
123 L, 2 bouvards poil noir 70 L, 4 vaches et une de 2 ans poil rouge-brun
133 L, 2 thoreaux et 1 thore
poil rouge-brun et noir 40 L, 2 veaux de lait 18 L, 4 cochons d’1 an
33 L , 2 poulains poil rouge 50 L, 29 brebis moutons agneaux 35
L métairie du Verger : 4 bœufs poil rouge 270 L,
4 bœufs poil rouge-brun 160 L, 4 vaches poil brun 100 L, 1 bouvard
de 2 ans et 1 d’un an poil rouge-brun 30 L, 2 thores
de 2 ans poir rouge-brun 36 L, 3 veaux de lait 28 L, 1 jument poil brun
60 L, 31 brebis moutons agneaux 45 L, 3 cochons d’1 an 18 L, 4 cochons
de lait 14 L métairie de la Rachère : 2 cochons
d’un an 9 L, 2 vaches poil blandin
50 L, 1 thore de 2 ans et 1 thoreau d’1 an poil blanc 18 L, 2 veaux
de lait 8 L, 13 brebis moutons 15 L, 4 bœufs poil blandin
190 L, 4 bœufs dont 2 poil rouge et 2 poil brun 110 L closerie
de la Rachère : 3 vaches 80 L, 1 thore
et 1 thoreau d’1 an 45 L, 1 veau de lait 8 L, 2 petits cochons de lait
4 L, 2 grands cochons 20 L
-
BAUX
- Lexique
: aigresseau esgresseau
s.m. prunier ou poirier
sauvage (3) closerage tenue d'une closerie closerie exploitation
agricole plus petite que la métairie, ayant aussi des des boeufs contrairement
à ce que disent des dictionnaires coin de beurre motte de beurre
en forme de coin marmenteau marmoteau
bois de haute futaie pipe
mesure du vin, en Anjou 1 pipe = 480 pintes = 960 chopines = 446,3 litres
tablier étude du notaire terrasse plafond de la salle
faisant le sol du grenier dans les maisons de closiers. Faite de poutres,
solives, paille et terre (torchis), la terrasse isole bien du froid
mais doit être entrenue toise mesure de longueur
- Exemple de bail
: Le 10.2.1612 Olivier Jalot époux
de Jehanne Gasnier se rend chez Guillaume Guillot notaire à Angers,
accompagné de son père Maurice Jalot qui demeure avec lui en la paroisse
de StMichel-du-Bois. Olivier
prend, pour lui et sa jeune épouse, le bail à moitié de la closerie
de la Paisterie à StMichel-du-Bois
(devenu St-Michel-et-Chanveaux)
qui appartient à honorable femme Roberde Juffé veuve de †Me Mathurin
Gouyn avocat en cette ville, demeurant paroisse StMaurille. Ils font
entre eux le marché de closeraige
par moitié en la forme et manière qui s'ensuit, c'est à savoir que ladite
Juffé baille audit Olivier Jalot audit nom audit titre et non autrement
pour le temps de 5 années et 5 cueillettes entières parfaites et continues
l’une l’autre sans intervalle à commencer
à la fête de Toussaint prochaine venant et à renouveler, c’est à savoir
le lieu et closerie dépendant dudit lieu de la Paisterye (devenu
la Pétrie) appartenant à ladite
bailleresse composé de logis et grange avec le jardin étant au derrière
dudit logis - 2 planches de jardin au clos de la Pochaye - le jardin
de dessous les vignes avec 1 planche de jardin à la Garterye nommmée
l’Annery - est compris au présent bail le pré nomme le Serizier, le
pré de la Garterye et le pré de la Rocheraye et ne sont néanmoins du
présent bail les fruits du verger dudit pré - le jardin de la Mare sans
que lesdits preneurs aient aucune chose dudit jardin - le verger de
la Pochaye - le verger de la Frudoulaye sans lesdits preneurs aient
aucune chose desdits vergers fors les herbages - ladite Jussé baille
généralement ainsi que Richard Frotté en à joui à la charge desdits
preneurs d’en jouir pendant ledit temps bien et duement comme il appartient
et que un bon père de famille doit et est tenus faire sans rien démolir
ni malmener, de tenir et entretenir lesdits maisons granges étables
et appartenances dudit lieu de toute réparation nécessaire tant de couverture
terrasse
que autrement et les rendront bien et duement réparées à la fin du présent
bail tout ainsi qu’elles leur seront baillées lors qu'ils entreront,
et fournira ladite bailleresse de clos et ardoise à place et ce qu’il
en conviendra pour lesdits logis, de labourer gresser fumer les terres
et appartenances de leur façon ordinaire en saisons convenables durant
ledit temps, pourquoi faire fourniront les parties par 1/2 de
semances pour chacune desdites années en être les graines et fruits
tant d’arbres que autres qui croîtront et proviendront sur lesdites
choses semés amassés battues et agrenées par lesdits preneurs en l’aire
dudit lieu pour y être partagées par 1/2 entres les parties, la part
et portion desquels pour ladite bailleresse lesdits preneurs rendront
au grenier dudit lieu de la Paistrye à leur dépens frais, planteront
et iceux preneurs le nombre de 8 esgrasseaux
par chacun an et en auteront pareil nombre aux lieux les plus commodes
qui seront de bonne marière et lesquels ils conserveront à leur possibilité
et bêcheront lesdits preneurs à leur pied, et feront autour desdites
terres le nombre de 8 toises
de fossé neuf et autant de relevé aux endroits les plus commodes et
nécessaires, feront pareillement 8 journées d’homme ouvrables pour ladite
bailleresse sans aucun salaire fors leurs dépens par chacun an, ne pourront
coupper abattre ni émonder aucun arbre fruitier (fruitaux)
ni marmentaux
(marmotaux) étant
sur lesdits lieux par branche pied ni autrement, sinon ceux que l’on
a coûtume d’émonder en saisons convenables en tant qu’il en auront de
besoin et non davantage, aideront à clore et fermer la cour dudit lieu,
tiendront les terres de son lieu bien et duement closes, payeront les
parties par 1/2 les cens rentes et devoirs que peuvent devoir lesdites
choses pendant ledit temps, et outre est fait le présent marché pour
en payer par lesdits preneurs à ladite bailleresse par chacune desdites
années le nombre de 25 livres de beurre net et empoté poids de marc
loyal et marchand, et néanmoins a remis ladite bailleresse auxdits preneurs
5 livres de beurre net pour la 1ère année seulement, 4 coins de beurre
frais aux vigiles des 4 fêtes annuelles de l’an, 5 chappons à la Toussaint
et 6 poulettes à la Pentecôte, le tout par chacune desdites années en
cette ville d’Angers maison de ladite bailleresse, une fouasse aux rois
aussi par chacune année - aideront à brayer
le lin de ladite Jussé. Fait en nôtre tablier
en présence de Me Jehan Gouyn fils de ladite Jussé (AD49-5E5/100)
ANTOINE Annie, Fiefs
et villages du Bas-Maine au 18e siècle,
Mayenne, 1994
AUDISIO Gabriel, Les
Français d'hier, des paysans 15e-19e siècles,
Armand Colin, 1998
BENDJEBBAR André, La
Vie quotidienne en Anjou au 18e siècle,
Hachette, 1983
LE MENÉ Michel, Les
Campagnes angevines à la fin du Moyen-âge, CID
Nantes, 1982
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